Réconciliation pékinoise entre factions palestiniennes?

Pas plus qu’une entente entre chrétiens du Mont Liban ne saurait être définitive, une réconciliation entre factions palestiniennes ne saurait durer «l’espace d’un matin». Question de mentalités, d’ego, de postures héroïques et d’intérêts sordides! La surenchère verbale, les querelles de personnes ont entravé l’intériorisation des notions de concertation pour le bien public, de même qu’elles ont endigué les politiques de concessions réciproques pour aboutir à un compromis acceptable. À cela s'ajoute la violence politique qui, aux yeux de la multitude, est un moyen légitime de prendre le pouvoir, puisque nul protagoniste ne saurait céder sa place à l’autre au nom de l’alternance démocratique.

Wang Li et les «magnificent fourteen»
N’est-ce pas ahurissant et criminel que les diverses «cohortes» (fasa’il) palestiniennes aient mis dix mois pour se retrouver autour d’une table, dans l’Empire du milieu, alors que la dévastation de leur peuple se poursuit? Pauvre et fichue Palestine si tels sont les responsables de ta destinée!
Voyons voir: le 23 juillet dernier, fut signé à Pékin un «accord d’unité nationale» entre 14 factions, dont les deux frères ennemis, le Fatah et le Hamas. La Chine en la personne de Wang Li, son ministre des Affaires étrangères, parrainait l’accord qui stipulait la création d’un «gouvernement intérimaire de réconciliation nationale». Le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, n’a pas manqué de saluer, par l’intermédiaire de son porte-parole, cette déclaration de Pékin comme un pas important en direction de l’unité palestinienne. Du côté de l’État hébreu, en revanche, et comme on s’y attendait, nous avons vu comment Israël Katz, ministre des Affaires étrangères, avait voué le président palestinien Mahmoud Abbas aux gémonies. Et comment il a condamné l’accord entre ces deux rivaux que sont le Hamas et le Fatah, accord qui visait à assurer leur contrôle conjoint sur Gaza une fois la guerre achevée. Katz nous a dit en substance: «Au lieu de rejeter le terrorisme, Mahmoud Abbas étreint les meurtriers et les violeurs du Hamas, révélant son vrai visage.» Pour aussitôt ajouter «qu’en réalité, cela n’arrivera pas car le Hamas sera écrasé et Abbas ne pourra observer Gaza que de loin».
Le président Mahmoud Abbas, si compromis avec Israël, aurait-t-il fait volte-face au vu de la dévastation méthodique de Gaza?
L’irrésistible ascension du Hamas
Les propos du ministre Katz nous révèlent avec quelle habilité l’État hébreu a dressé une faction palestinienne contre l’autre. On ne pouvait mieux faire pour renforcer son emprise sur les territoires occupés depuis 1967. Le cabinet Netanyahou, quant à lui, sait combien il est illusoire de chercher à unir les Palestiniens entre eux, sauf dans le malheur.
Un rappel des dates peut nous éclairer quant aux sources du conflit interpalestinien et quant aux tentatives avortées de réconciliation entre le Hamas et le Fatah :
Le mouvement Hamas, excroissance des Frères musulmans, a été fondé comme unité opérationnelle indépendante en 1987 après la première intifada. Les tensions entre cette faction et le Fatah s’accélérèrent à la mort de Yasser Arafat en novembre 2004. En septembre 2005, Israël s’étant retiré de Gaza, les élections législatives de janvier 2006 en territoires palestiniens entérinèrent la victoire du Hamas. Ismaïl Haniyé constitua en mars 2006 un gouvernement auquel les Fathaouis refusèrent de participer. Pour faire baisser la tension et mettre un terme à la violence, un accord fut signé à La Mecque en février 2007, en vue de former un gouvernement d’union nationale. La constitution de ce dernier ne mit pas fin à la guerre intestine, à telle enseigne qu’en juin 2007, le Hamas avait fini par s’emparer manu militari de l’ensemble du territoire de Gaza. Le combat fratricide avait fait au moins 600 victimes entre janvier 2006 et mai 2007. Les exécutions des cadres du Fatah se poursuivant, ces derniers se retirèrent définitivement du territoire en juin 2007. Il n’empêche qu’en avril 2011, en février 2012, comme en avril 2014, des accords de réconciliation allaient être conclus, le dernier étant celui d’octobre 2022 à Alger, toutefois sans résultats pratiques sur le terrain. Ce ne furent que des épisodes d’une série sanglante soulignant l’incapacité de faire l’unité entre factions se battant pour la même cause.

Moussa Abou Marzouk et Mahmoud al-Aloul
Si nous sommes à présent à l’été 2024, allons-nous croire que l’accord de Pékin, ville qui baigne dans la sagesse confucéenne, serait plus à même d’assurer l’unité des rangs que l’accord de La Mecque, siège incontournable de la foi islamique ? Et puis, comment s’expliquer la hâte soudaine avec laquelle Moussa Abou Marzouk (Hamas) et Mahmoud al-Aloul (Fatah) ont pris l’avion pour la Chine, incontestable puissance guettant l’occasion de mettre le pied à l’étrier du Moyen-Orient? En fait, c’est que probablement les responsables palestiniens devaient parer au plus pressé. Des liquidations physiques à large échelle étaient prévisibles et même, nous dit-on, qu’une guerre civile couvait dans les camps du Liban et, par voie de conséquence, en Cisjordanie occupée. Et pour parodier un monarque français, on peut dire que la paix civile vaut bien quelques embrassades et une déclaration d’intention dans un pays excentré...
C’est ce qui explique en partie que l’accord de Pékin ait été concocté à la hâte, et ses failles inventoriées1. Et puis, l’histoire récente, cette rude maîtresse, nous a enseigné que les antagonistes n’ont cure des conventions signées, encore moins des paroles données!
De quoi rire sous cape!
Un bref retour en arrière! La délégation dépêchée par Yasser Arafat venait de signer les accords d’Oslo de septembre 1993. La colère avait saisi certains pays arabes et, comme cela allait de soi, elle s’était emparée de certaines factions insoumises et groupuscules jusqu’au-boutistes. Violentes critiques et menaces affichées dans le plus pur style de l’époque. Le leader historique de l’OLP et sa garde rapprochée tentaient de s’expliquer et de se justifier sous une pluie d’accusations, souvent fondées et pertinentes. Entretemps, lors d’un de ses brefs passages à Vienne, Abou Ammar convoqua à son hôtel ceux des Palestiniens qui se trouvaient en Autriche, soi-disant pour leur expliquer les tenants et les aboutissants de l’accord intervenu, qu’ils récusaient. Il s’en tira plutôt bien en assurant à l’assistance survoltée qu’il avait roulé les interlocuteurs israéliens en leur arrachant une «reconnaissance» et que, de ce fait, les Palestiniens n’avaient qu’à «rire sous cape» (idhaq bi ‘ibak)2. Et d’ajouter devant l’assistance médusée que le document signé à Oslo ne valait que pour l’instant précis de sa signature. Pour ce caméléon, champion de la survie politique, l’encre de la rédaction3 du texte allait s’évaporer avec le cours des jours: vite fait, le document serait prescrit et, d’après lui, il n’en resterait rien. De fait, ni Israéliens ni Palestiniens ne s’y conformèrent, les intentions des uns et des autres étant d’interpréter les accords à leur guise et de les transgresser à leur convenance.
D’ailleurs, que valent accords, conventions ou traités dans cette partie du monde? Qu’on se souvienne de l’accord du Caire de 1969. Le Liban s’y était désisté d’une part de sa souveraineté sur un morceau supposé inaliénable de son territoire. Mais l’OLP en ses diverses officines n’avait pas estimé que c’était suffisant. Après tout, c’étaient des révolutionnaires qui ne jugeaient pas utile de s’y conformer. La suite, on la connaît.
Rappelons également l’accord de Taëf et les déviances que l’occupation syrienne lui a fait subir. Les textes, encre sur papier (hubr ‘ala warak), ne servent qu’à accorder un sursis de vie à l’un ou l’autre des belligérants, une pause de quoi reprendre son souffle ou poursuivre ses manigances. Et tant pis pour la parole donnée, puisque sur la scène politique ne survivent que les parjures.
Pour la faire courte, l’heure de la réconciliation palestinienne n’a pas sonné à Pékin, mais l’heure du dépeçage du Liban a failli être sonné à Majdal Shams, avant que l’exécution d’Ismaïl Haniyeh en plein Téhéran ne vienne rabattre les cartes.
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1.Cécile Lemoine, «Entre Hamas et Fatah, un accord palestinien aux nombreuses failles», Le Soir, 23 juillet 2024.
2.La même expression utilisée par le leader palestinien.
3.Idem.
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