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Le Front d’action islamique (FAI), bras politique des Frères musulmans et principal parti d’opposition en Jordanie, a remporté une victoire remarquable lors des élections législatives qui se sont tenues en septembre 2024. Cependant, cette percée s’inscrit dans un cadre politique où leur influence reste strictement contrôlée par l’État et où le Parlement jordanien joue un rôle limité dans la vie politique du pays.

Un islamisme tenu "en laisse"

Fondé en 1992, avec des racines remontant aux années 1940, le FAI a pour but "d’imposer l’islam dans la société par des moyens pacifiques" [sic], selon son ancien secrétaire général Hamza Mansour.

Toutefois, le gouvernement jordanien n’a pas hésité à réprimer les islamistes lorsqu’ils étaient perçus comme une menace pour la stabilité du régime. En 2015, les Frères musulmans ont été bannis de Jordanie et leur licence gouvernementale a été transférée à une faction réformiste qui n’est autre que le FAI, resté légal. Aujourd’hui, deux organisations distinctes portent le nom de "Frères musulmans": le noyau et ladite faction.

L’exemple du boycott de 1997 par le FAI en réaction à l’accord de paix avec Israël illustre cette relation tendue avec l’État; celui-ci a fréquemment cherché à marginaliser les islamistes lorsqu’ils devenaient trop influents ou menaçants pour la stabilité du régime.

La victoire du parti islamiste a choqué le pays. Mais comment expliquer ce grand bond?

Le mécontentement jordanien

La base de soutien du FAI est composée en grande partie de Jordaniens d’origine palestinienne.

Lors des élections, les islamistes avaient cherché à tirer parti de la colère croissante des Jordaniens, dont la moitié est d’origine palestinienne, à l’égard de la guerre en cours à Gaza.

Il n’existe pas de recensement officiel du nombre d’habitants palestiniens. Mais quelque 2,18 millions de Palestiniens ont été enregistrés comme réfugiés en 2016. Depuis 2014, environ 370.000 vivent dans dix camps de réfugiés, le plus grand étant celui de Baqa’a qui compte plus de 104.000 résidents, suivi par celui d’Al-Wehdat avec plus de 51.500 résidents. Minority Rights Group International estime qu’il y a environ 3 millions de Palestiniens en Jordanie.

La guerre à Gaza a affecté de manière significative le tourisme en Jordanie, un secteur qui contribue à hauteur d’environ 14% au produit intérieur brut du pays. Elle a également entraîné une baisse des revenus dans un pays où la dette publique approche les 50 milliards de dollars et où le chômage a atteint 21% au premier trimestre de cette année.

Soit dit en passant, l’économie jordanienne est fortement tributaire de l’aide étrangère, en particulier des États-Unis et du Fonds monétaire international.

Un Parlement dérisoire

Le mécontentement ne s’arrête pas là: les Jordaniens sont défiants vis-à-vis de leurs institutions. D’ailleurs, la participation aux élections a été historiquement faible en Jordanie, atteignant seulement 31% cette année. Ce chiffre reflète en partie le désintérêt des électeurs pour une institution perçue comme politiquement inefficace.

Lors des dernières élections législatives, le FAI a remporté 31 des 41 sièges réservés aux partis politiques. Le Parlement compte au total 138 sièges, dont 97 attribués à des candidats individuels qui peuvent être indépendants ou affiliés à des groupes locaux.

Malgré son élection, ce Parlement dispose de pouvoirs limités par rapport à ceux du roi. Qui plus est, le vote jordanien repose en grande partie sur des dynamiques tribales et locales.

En dépit des sièges obtenus par le FAI, la monarchie reste le maître de céans. Cette réalité restreint la capacité du FAI à modifier en profondeur la politique du pays.

Contrairement à ce qui est observé dans les régimes parlementaires, où le leader du parti majoritaire est automatiquement nommé Premier ministre, le roi de Jordanie n’a aucune obligation constitutionnelle ou coutumière de nommer le chef du FAI à ce poste. Cela laisse à la monarchie une marge de manœuvre importante pour gérer les équilibres de pouvoir et maintenir l’islamisme sous contrôle.

Certes, la victoire du FAI marque un tournant symbolique dans la politique jordanienne, mais elle doit être relativisée par plusieurs facteurs. Bien que le FAI soit devenu la première force politique du pays, son influence reste encadrée par un régime qui maîtrise habilement les dynamiques du pouvoir pour préserver la stabilité du royaume.

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