Nouveau revers judiciaire pour Lafarge: la cour d’appel de Paris a confirmé mercredi l’inculpation pour " complicité de crimes contre l’humanité " concernant ses activités jusqu’en 2014 en Syrie. Le cimentier français est accusé entre autres d’avoir versé de l’argent à des groupes djihadistes, dont Daech, pour maintenir ses activités au plus fort de la guerre civile syrienne.

Rejet d’Holcim
" Nous ne sommes absolument pas d’accord avec (cette) décision ", qui n’est pas " un jugement sur le fond de l’affaire mais vise à déterminer l’étendue des charges objet de l’enquête ", a indiqué dans un communiqué Holcim, qui avait fusionné avec Lafarge en 2015.

" Nous croyons résolument que cette infraction ne devrait pas être retenue contre Lafarge, qui va former un pourvoi en cassation ", a ajouté le groupe. Le pourvoi sera déposé jeudi, a indiqué à l’AFP l’un des avocats du groupe.

La chambre de l’instruction parisienne était invitée à se prononcer une nouvelle fois sur les demandes du groupe Lafarge d’annulation de ses inculpations pour l’infraction, rarissime pour une entreprise, de " complicité de crimes contre l’humanité ", et pour celle de " mise en danger de la vie d’autrui ".

Yassin Yassin devant la maison de son neveu Yassin Ismail, un ancien employé de Lafarge enlevé par des combattants jihadistes en 2013, à Ain Issa, dans le nord de la Syrie. (AFP)
Allers-retours

En novembre 2019, cette chambre d’appel avait accédé à la première demande du groupe, estimant que la seule intention du groupe était " la poursuite de l’activité de la cimenterie ", tout en rejetant la seconde. Mais en septembre dernier, la Cour de cassation l’avait invitée à revoir sa copie.

Sa chambre criminelle avait estimé que, pour que cette complicité de crimes contre l’humanité puisse être retenue, il suffisait que l’auteur de l’infraction " ait connaissance de ce que les auteurs principaux commettent ou vont commettre un tel crime contre l’humanité et que par son aide ou assistance, il en facilite la préparation ou la consommation ".

Après un retour à la chambre de l’instruction et une longue audience en mars, la cour d’appel de Paris a donc décidé de maintenir la " complicité de crimes contre l’humanité " et la " mise en danger de la vie d’autrui " au dossier pour le groupe cimentier. Avec le pourvoi de Lafarge, l’affaire devrait donc revenir devant la Cour de cassation, possiblement devant une formation élargie.

Contact djihadiste

Dans le cadre de cette information judiciaire ouverte en juin 2017, le groupe désormais filiale d’Holcim est soupçonné d’avoir versé en 2013 et 2014, via sa filiale syrienne Lafarge Cement Syria (LCS), plusieurs millions d’euros à des groupes terroristes, dont l’organisation État islamique (EI), ainsi qu’à des intermédiaires, afin de maintenir l’activité d’une cimenterie en Syrie à Jalabiya alors que le pays s’enfonçait dans la guerre.

L’enquête a évalué que ces versements pourraient avoir atteint entre 4,8 et 10 millions d’euros pour le seul groupe EI. Lafarge est également suspecté d’avoir vendu du ciment de l’usine à l’EI et d’avoir payé des intermédiaires pour s’approvisionner en matières premières auprès de factions jihadistes. Le groupe avait investi 680 millions d’euros dans la construction du site de Jalabiya, achevé en 2010.

" Contre l’impunité "

Une représentante de l’association ECCHR (European Center for Constitutional and Human Rights), dont le statut de partie civile dans ce dossier a été confirmé par la cour d’appel mercredi, a salué auprès de la presse " une décision emblématique ". " On espère que les juges d’instruction vont pouvoir finir leur travail ", a-t-elle ajouté.

" C’est un pas de plus contre l’impunité des auteurs des pires crimes d’acteurs économiques: aujourd’hui, il n’est plus possible de se cacher derrière le petit doigt de l’ignorance organisée ", a applaudi Me Joseph Breham, avocat d’une centaine d’ex-salariés syriens. " C’est un soulagement et une étape importante pour les anciens salariés syriens ", ont aussi relevé Me Mathieu Bagard et Elise Le Gall, avocat d’une cinquantaine d’entre eux.

" Il faut désormais faire la lumière sur les responsabilités et le degré de connaissance de cette complicité de crime contre l’humanité des acteurs publics ", a demandé Me Arié Alimi, avocat de la Ligue des droits de l’homme (LDH). Deux des qualifications pénales retenues contre le groupe Lafarge, " complicité de crimes contre l’humanité " et " financement d’une entreprise terroriste ", sont très lourdes en termes d’image publique.

Dans un interrogatoire de novembre révélé mardi par Le Parisien, le président du conseil d’administration d’Holcim, Beat Hess, a accusé les anciens dirigeants de Lafarge d’avoir " caché " leurs activités en Syrie lors de la fusion de 2015. Holcim a été " trahie ", a-t-il asséné. Dans ce dossier, huit cadres et dirigeants, dont l’ex-PDG de Lafarge Bruno Lafont, mais aussi un intermédiaire syro-canadien ou un ex-gestionnaire des risques jordanien sont mis en examen.

Avec AFP