Pour la première fois depuis 2003, le Quai d’Orsay est en grève. Avec des slogans tels que " Fatigués ", " en manque de considération ", voire " en colère ", de nombreux diplomates français ont répondu jeudi à un appel inédit pour protester contre des réformes mettant en danger, selon eux, l’efficacité et le prestige de la diplomatie française. Environ 13.500 agents sont employés par le ministère des Affaires étrangères, selon des chiffres officiels.

Réforme des " castes administratives "
Le mouvement, rarissime dans une maison traditionnellement discrète et peu portée sur la contestation, a été lancé par six syndicats et un collectif de 500 jeunes diplomates. Plusieurs dizaines d’entre eux se sont même réunis jeudi devant leur prestigieux ministère à Paris.

Après une série de réformes, celle de la haute fonction publique, qui aura des conséquences sur les carrières diplomatiques, a été la goutte d’eau faisant déborder le vase.  Voulue par le président Emmanuel Macron, notamment pour mettre fin aux " castes administratives ", la réforme programme la " mise en extinction " d’ici à 2023 des deux corps historiques de la diplomatie, la création d’un nouveau corps de l’État et prévoit que les hauts fonctionnaires ne seront plus rattachés à une administration spécifique et pourront en changer en cours de carrière.

Pas " interchangeables "

Les grévistes estiment ne pas être " interchangeables " et craignent la fin de la professionnalisation de la diplomatie française, troisième réseau mondial derrière les États-Unis et la Chine. " On ne devient pas diplomate du jour au lendemain ", insiste l’ambassadeur Marcel Escure, 35 ans de maison, l’un des rares à donner son nom lors du rassemblement devant le ministère, quai d’Orsay à Paris.

Mais la grogne montait depuis plusieurs années : " L’empilement des réformes, la baisse continue des moyens, aboutit à une fatigue et un désarroi des personnels ", explique le diplomate et syndicaliste de la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC), Olivier Da Silva.

" On a une charge de travail extrêmement importante, on ne compte pas nos heures, car on est très, très fier de faire ce métier. Mais il y a un sentiment de malaise, on a l’impression de ne pas être suffisamment écouté ", résume Jean-Baptiste, rédacteur de 28 ans à la direction ONU. Un discours repris par d’autres jeunes diplomates – invoquant leur devoir de réserve pour rester anonymes – ayant beaucoup investi pour apprendre le turc ou le chinois, ou travaillant " nuit et jour " sur la zone Ukraine-Russie.

La nouvelle ministre des Affaires étrangères Catherine Colonna, diplomate de carrière, ici à Boutcha en Ukraine le 30 mai dernier.
#diplo2métier

Fait inédit, de nombreux diplomates de haut rang, ambassadeurs, directeurs de régions, affichent depuis plusieurs jours sur Twitter leur soutien au mouvement, sous le hashtag #diplo2métier.

Certains, comme les ambassadrices du Koweit Claire Le Flécher d’Oman Véronique Aulagnon, ou l’ambassadeur au Nicaragua Brieuc Pont, se sont affichés grévistes. D’autres, comme le directeur des affaires politiques du ministère, Philippe Errera, ont retweeté une tribune récemment publiée par le collectif des jeunes diplomates.

Les ambassadeurs et agents consulaires disposent du droit de grève mais " naturellement, on ne menacera jamais la protection de nos compatriotes et de nos intérêts ", a précisé M. Da Silva. " Rien qu’une grève est déjà un événement en soi ", ajoute-t-il, évoquant un " cri d’alarme ". " Notre ministère est abîmé, il faut le réparer ". Les syndicats et le collectif réclament l’organisation d’assises de la diplomatie.

" Personnels fatigués "

Les chiffres de la mobilisation n’étaient pas connus jeudi soir. Mais la nouvelle ministre des Affaires étrangères Catherine Colonna, diplomate de carrière, recevra le 7 juin les syndicats et les représentants du mouvement, " en vue de répondre aux inquiétudes exprimées et d’examiner les moyens nécessaires à une diplomatie moderne, efficace, professionnelle, au service des Français ", a indiqué le Quai d’Orsay jeudi soir.

" L’inquiétude est réelle, les personnels sont fatigués ", reconnaît-on de source proche du dossier, soulignant que le mouvement social intervient dans un " contexte très difficile " : plus de deux années de Covid, successions de crises, des évacuations de Kaboul après la victoire talibane en août 2021 en passant par la guerre en Ukraine, les expulsions de diplomates par la Russie, la crise avec le Mali…

Avec AFP

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