La beauté est-elle une promesse de bonheur?
Pourquoi la polémique éternelle entre la beauté et l’esprit s’invite dès qu’une déesse de beauté ouvre la bouche pour parler? Dans quelle mesure l’intelligence serait la travailleuse de l’ombre de la beauté et celle-ci, la garante du bonheur? L’analyse des liens unissant la beauté et le savoir-faire, la force de caractère et le génie, à travers trois légendes mondiales: la Libanaise Georgina Rizk, la Française Brigitte Bardot et la Hollywoodienne Marilyn Monroe.

Il fait très chaud, en cette soirée de juillet. À la télé, des jeunes filles belles se pavanent dans des robes de rêve. Des déesses qui rêvent d’amour et de gloire. Leurs robes sont des pans de ciel d’été étoilé, tombés sur terre. On leur reproche d’être frivoles, de défiler pendant que le peuple meurt, pillé, affamé, humilié. La chaîne qui a organisé la cérémonie a remué ciel et terre pour la promouvoir, dans un pays qui n’agonise plus comme un soleil mourant, mais comme une petite bougie qui disparaît. «La beauté sauvera le monde», semble être le message voulu après la pandémie, l’explosion, les massacres et la démolition. Lequel? Le nôtre, qui rapetisse et se dépeuple à vue d’œil?

Pour Platon, le beau est indissociable du bien et du vrai. Dans Le Banquet, Platon montre que le beau est l’apparence du bien, son intuition. Est-ce pour cela que le public est outré par les réponses niaises des candidates, émanant de leurs corps harmonieux, répondant aux critères esthétiques idéaux? Être belle dans ce cas contredit l’idée platonicienne selon laquelle le beau induit une gradation de la beauté purement sensible à la beauté abstraite, l’apparence physique n’étant que l’écrin qui aurait dû dévoiler la lumière jaillissante, l’essence. Faudrait-il pour autant condamner ces jeunes filles aveuglées par les projecteurs, tétanisées devant des millions de spectateurs? Comment la beauté peut sauver la personne qu’elle auréole et «être une promesse de bonheur»?

Georgina Rizk, une beauté parfaite de chez nous



En 1971, le Liban a fasciné le monde avec sa Miss Univers à la beauté parfaite, Georgina Rizk, première Vénus du Moyen-Orient à rafler ce titre. À son retour au Liban, les producteurs l’assaillent avec des propositions alléchantes. On fait des tirages de timbres immortalisant son élection au trône de l’univers en abaya libanaise. Elle joue dans trois films égyptiens aux côtés de stars libanaises et dans une pièce de théâtre signée Roméo Lahoud, avant de se marier en premières noces avec le militant palestinien Ali Hassan Salamé. Quoique de mère hongroise, Georgina Rizk privilégie l’attachement au foyer, au cocon. Ainsi, elle s’éloigne rapidement des feux de la rampe et choisit de fonder une famille. Le public croit qu’elle évite les médias et les bains de foule, enchaînée par son mariage à un homme célèbre, puissant et poursuivi par le Mossad. Mais après le massacre de son époux, elle s’obstine à vivre discrètement auprès de leur fils Ali et refuse catégoriquement toutes sortes d’apparitions publiques. On interprète cela comme un deuil prolongé ou une fidélité teintée de soumission. Mais Georgina Rizk semble haïr véritablement le «paraître», ce qu’elle confirme de vive voix avec son assurance accoutumée. Des années plus tard, elle se marie avec le célèbre chanteur Walid Toufic et fuit toujours comme la peste la scène et les projecteurs. De leur union naissent deux enfants qui vivent avec leur demi-frère, Ali, baignés par la tendresse parentale. Enracinée pleinement dans la culture libanaise, notre Miss Univers, comblée par le don de la beauté, n’a jamais terni son image ou nourri des racontars. Elle a choisi le bonheur dans la chaleur du foyer et la sérénité de l’amour conjugal.

Et Dieu créa Brigitte Bardot



La Française Brigitte Bardot qui aura 88 ans dans deux mois est l’inspiratrice des grands artistes et la muse de son époque. Le caractère bien trempé, les lèvres aussi pulpeuses que boudeuses, «les yeux révolver» et un corps à damner un saint, elle a joué dans 45 films et enregistré 70 chansons. Sous la plume de l’auteure du Deuxième sexe, Brigitte Bardot est dépeinte comme le symbole de l’émancipation féminine de l'après-guerre: «Elle se fiche comme d’un iota de l’opinion des autres. Elle ne cherche pas à scandaliser […]. Elle mange quand elle a faim et fait l’amour avec la même simplicité désinvolte […]. Elle ne critique pas les autres. Elle fait ce qui lui plaît et c’est ce qui est perturbant. Elle ne pose pas de questions, mais elle offre des réponses dont la franchise peut être contagieuse.»

Chacune des apparitions de Bardot est un événement relayé par la presse internationale, attirant une foule en délire. Les Beatles en font leur égérie et fantasment autour d’elle dans leurs chansons comme dans leur vie. Gainsbourg lui compose ses plus belles chansons. «Au jeu de l’amour, elle est plus un chasseur qu’une proie. […] Refuser les bijoux et les cosmétiques, les talons aiguilles ou les corsets, c’est refuser de se transformer en idole insaisissable. C’est affirmer que l’on est le camarade et l’égal de l’homme, reconnaître qu’entre hommes et femmes, il y a désir et plaisir mutuels», poursuit la théoricienne du féminisme. Dotée d’une beauté spectaculaire, Bardot refuse tous les honneurs et les privilèges de la gloire, qu’elle assimile à de «faux semblants».


À quarante ans, elle met sa beauté, sa célébrité et sa fortune au service de la cause animale qui confère un sens à sa vie. Envahie par des milliers d'admirateurs et d'admiratrices à chaque fois qu’elle met le nez dehors, déçue par les hommes qui étaient pourtant à ses pieds, elle se retire ainsi au faîte de la gloire. Elle vend ses biens et ses bijoux pour créer la fondation Brigitte Bardot dédiée aux droits des animaux. Avec eux, elle trouve enfin l’amitié véritable, les liens indéfectibles qu’elle a recherchés en vain auprès des humains.

Cinquante ans plus tard, l’héroïne du Mépris n’accepte pas la moindre intervention plastique pour restaurer ses traits de Vénus. Vieillie, mais toujours coquette, elle n’a jamais obéi aux diktats de son époque. Aujourd’hui, elle ne cache pas ses rides et affronte dignement l’âge ingrat. Françoise Sagan, l’auteure de Bonjour tristesse et l’autre symbole de Saint-Tropez, aurait déclaré à propos de la légende française: «En 1954, il s’agissait d’être vertueuse et elle ne l’était pas. En 1973, il s’agissait d’être licencieux et Bardot ne l’est toujours pas.» Brigitte Bardot n’a rien voulu prouver au monde. Elle a eu l’audace de ne jamais agir par devoir, mais par amour. Sûre d’elle-même, elle a trouvé la paix en choisissant sa vraie vocation. Sa maison pieds dans l’eau de Saint-Tropez lui fut plus chère que les fabuleux contrats hollywoodiens qu’elle a déclinés sans regret. Entourée de ses protégés à quatre pattes et de Bernard d’Ormale, le dernier homme de sa vie, elle a imposé sans détour son acception du bonheur.

À la demande du général de Gaulle, Brigitte Bardot fut la première personnalité du monde du cinéma français à incarner Marianne, symbole allégorique de la République française qui orne les institutions et les bâtiments officiels en France, au même titre que les couleurs du drapeau et les trois devises de la République: «liberté, égalité, fraternité».

Marilyn Monroe, le mythe de la féminité absolue



L’Américaine Marilyn Monroe est morte il y a soixante ans. Pourtant, des dizaines de livres lui sont consacrés, le moindre objet lui ayant appartenu fait l’objet d’une vente aux enchères. Le mystère de sa beauté reste intact, tout comme le mystère de sa mort à 36 ans. Une étude académique en anglais intitulée Marilyn la passion et le paradoxe souligne l’intelligence dont Marilyn s’est servie pour créer sa propre légende. Elle reste une source étonnante d’inspiration pour la femme en général, les actrices en particulier, l’art pop et le marketing.

Abandonnée par sa mère, Marilyn a vécu une enfance douloureuse, catapultée de famille adoptive en autre, subissant les mauvais traitements et le viol. Les troubles mentaux de sa mère ont hanté sa vie, lui faisant redouter l’émergence de ce terrible héritage génétique durant ses crises de mélancolie. Monroe était aussi élégante au naturel que dans ses tenues moulantes savamment choisies et ses talons aiguilles (signés Ferragamo), qui ont codifié pour la postérité l’apparat du tapis rouge. Elle avait du génie dans son talent, dans le style vestimentaire qu’elle s’est inventé, le look adopté pour se singulariser (un blond platine trié sur le volet, des cheveux très structurés pour éviter la vulgarité, un sourire dévoilant une dentition parfaite, fruit de longues heures d’exercices devant le miroir, à l’origine du «hollywood smile»).

Elle savait aussi bien jouer qu’interpréter, ce qui est manifeste dans le film d’Otto Preminger, Rivière sans retour, comme durant l’anniversaire du président Kennedy, quand la légende américaine lui fredonne «Happy birthday» de sa voix aussi sensuelle que fragile.

Marilyn a sauvé son destin de la médiocrité et elle est devenue le mythe féminin absolu. Elle doit cela aux archétypes figuratifs qu’elle a possédés et qu’elle a su exacerber intelligemment. Ayant représenté un mélange savant et authentique d’innocence et de sensualité, de génie et de vulnérabilité, elle a conféré aux rôles qu’elle incarnait une dimension nouvelle. L’amour a mis sur son chemin entre autres Arthur Miller, le célèbre intellectuel de gauche. On les a surnommés the beauty and the brain ou la beauté et le cerveau. Il faut signaler cependant que Marilyn Monroe aimait lire et écrire et possédait une grande bibliothèque. Elle était passionnée par Joyce, Beckett, Kerouac, Colette et Flaubert. Elle a écrit sa biographie à 26 ans, intitulée Biographie inachevée, et Fragments, un livre édité par Bernard Comment et Stanley Buchtal contenant des poèmes, des notes et des correspondances. Cependant sa liaison avec l’écrivain et dramaturge n’a pas survécu à ses accès de déprime causés par une fausse couche et une grossesse extra-utérine. De même, Miller n’a pas digéré sa relation passagère avec Yves Montand. En mai 2022, le portrait de Marilyn Monroe réalisé par l’artiste Andy Warhol a été vendu aux enchères chez Christie’s. Le tableau Shot Sage Blue Marilyn peint en 1964 a été vendu à 195 millions de dollars, ce qui en fait l’œuvre d’art la plus chère du siècle, devant Les Femmes d’Alger de Picasso vendu à 179,4 millions en 2015.

Parmi les citations attribuées à Monroe: «L’imperfection est beauté, la folie est génie et il vaut mieux être complètement ridicule que parfaitement ennuyeux»; «En fin de compte, je laisse les gens penser ce qu’ils veulent, car s’ils se soucient de ce que je fais, je sais déjà que je vaux mieux qu’eux.»
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