Al-Qard al-Hassan: “La banque du Hezbollah” en danger? (1/2)
Qard al-Hassan ©Ici Beyrouth

Les frappes israéliennes, violentes et quotidiennes, continuent sur la banlieue sud de Beyrouth ainsi que sur les villages du Liban-Sud et de la Békaa. Israël affirme que son offensive se poursuivra jusqu'à l'élimination complète des cibles humaines, militaires et organisationnelles du Hezbollah.

Dans cette dynamique, Israël cherche à affaiblir stratégiquement le groupe pro-iranien, en concentrant ses attaques sur ses ressources financières. Cela comprend la neutralisation des voies d'approvisionnement interne et externe, gérées par des individus clés au cœur de la structure financière du Hezbollah, déjà placés sous sanctions américaines. Parmi les cibles figurent l'institution “Al-Qard al-Hassan” et d'autres entités affiliées. Jusqu'à présent, le Hezbollah est resté silencieux sur l'ampleur des dommages subis par ses réseaux financiers et organisationnels, considérés comme le pilier de sa cohésion sécuritaire, militaire et sociale.

Le programme Rewards For Justice (RFJ) (Récompenses pour la justice) du département d'État des États-Unis propose depuis plusieurs années des récompenses allant de 5 à 10 millions de dollars pour des informations permettant de “perturber les réseaux financiers du Hezbollah”. Ces incitations visent à identifier des individus sous sanctions, dont certains ont par la suite été éliminés lors d’opérations ciblées par Israël au Liban.

L'assassinat de Mohammad Srour en avril dernier illustre cette stratégie. Srour, un cambiste libanais sous sanctions américaines, a été accusé de transférer des fonds iraniens au Hamas. Il a été tué lors d'une opération revendiquée par le Mossad israélien, quelques mois après une campagne d'appâtage dans le cadre du RFJ.

Le 1ᵉʳ octobre, Israël a également éliminé Mohammad Jaafar Kassir lors d'un raid ciblant un appartement dans la région de Jnah. Kassir, alias Cheikh Salah et Hussein Ghouli, qui était un des hommes d'affaires les plus proches du mouvement pro-iranien, jouait un rôle clé dans la protection et le renforcement des réseaux de financement du Hezbollah. Le département du Trésor américain l'avait placé sur la liste des sanctions du Bureau de contrôle des avoirs étrangers en raison de ses activités présumées de soutien et de services au Corps des Gardiens de la révolution islamique iranien, ainsi qu'aux Houthis et au Hezbollah.

Kassir a dirigé l'unité 4400 pendant près de 15 ans et était considéré comme le principal architecte du financement du Hezbollah. En effet, il avait mis en place des circuits internationaux permettant de transférer des fonds depuis l'Iran et la Syrie vers le Hezbollah au Liban. Selon les listes de sanctions du Bureau de contrôle des avoirs étrangers du département du Trésor américain, Kassir avait implanté des projets économiques au Liban, en Syrie et dans plusieurs autres pays, créant ainsi de vastes réseaux économiques destinés à acheminer des fonds vers le Hezbollah.

 

Bureaux de change: transferts douteux

Face à l'intensification des sanctions visant le Hezbollah et son réseau financier, composé d'individus et d'entités, ce dernier a renforcé ses relations avec plusieurs grands bureaux de change au Liban, notamment à Beyrouth, dans la banlieue sud, la Békaa et Chtaura.

Ces bureaux offrent des canaux de financement alternatifs, provenant d'individus à l'étranger ou d'activités qualifiées d'illégales par le département du Trésor américain, notamment en lien avec des opérations de blanchiment d'argent.

Les enquêtes et la surveillance des transactions financières ont révélé que le Hezbollah utilisait ces bureaux de change pour blanchir des fonds, en recourant à un système parallèle de transfert monétaire. Ce système permet à des individus ou à des groupes armés de déplacer des fonds sans transfert physique, en enregistrant simplement des opérations de crédit et de débit.

Depuis 2011, le département du Trésor américain a sanctionné plusieurs bureaux de change au Liban. La sanction la plus récente a touché la société de change CTEX et son propriétaire, Hassan Moukalled, dont les comptes ont été gelés par la Banque du Liban après leur inscription, le 24 janvier, sur la liste de l'Office of Foreign Assets Control (OFAC). Deux autres membres de la famille Moukalled ont également été visés par ces sanctions.

 

Sort incertain pour Al-Qard al-Hassan

Fondée en 1982, Al-Qard al-Hassan a été reconnue comme association par le ministère de l'Intérieur en 1987, sans pour autant obtenir l'autorisation nécessaire pour devenir une institution financière. Malgré ce statut, l’association a échappé à la supervision des autorités monétaires, notamment de la Banque du Liban et de la Commission de contrôle des banques, et a pu étendre ses activités à travers tout le pays. L'association a également lancé des campagnes médiatiques et publicitaires pour promouvoir ses services.

Le financement des prêts d'Al-Qard al-Hassan provient principalement des fonds déposés par des donateurs fortunés que l'association présente comme des “bienfaiteurs souhaitant investir dans des œuvres caritatives”, ainsi que par des investisseurs et des bailleurs de fonds. Les prêts sont accordés en échange de garanties sous forme d’or, et l'association perçoit des paiements mensuels de remboursement de la part des emprunteurs. De plus, elle prélève des frais mensuels auprès de ses déposants et reçoit des dons de bailleurs de fonds liés au Hezbollah et à ses institutions. Certains observateurs qualifient Al-Qard al-Hassan de “banque occulte du Hezbollah” en raison de son rôle central dans le financement du groupe chiite.

La proposition détaillée de l'association inclut des prêts sans intérêt, garantis par des actifs tangibles tels que de l'or ou des garanties de tiers. Initialement centrée sur l'octroi de prêts personnels contre un gage en or, l'association a élargi son champ d'action pour financer des projets d'investissement. Elle accorde également des prêts mensuels aux personnes ayant déposé des fonds dans l'association, ainsi que des prêts garantis par des individus fortunés. Enfin, l'association finance l'installation de panneaux solaires, avec des prêts allant jusqu’à 5.000 dollars pour les particuliers et 35.000 dollars pour les municipalités.

Selon des données non officielles, le portefeuille de prêts accordés par l'association a connu une hausse notable, passant de 76,5 millions de dollars en 2007 à 476 millions de dollars en 2018, pour atteindre 480 millions de dollars en 2019, bénéficiant ainsi à plus de 200.000 personnes. En outre, le montant total des transactions de l'association jusqu'en 2019 est estimé à environ 3,5 milliards de dollars. Ce chiffre a sans aucun doute augmenté avec le début de la crise économique au Liban en 2019, Al-Qard al-Hassan ayant profité de l'économie de cash, évaluée par la Banque mondiale à environ 9,9 milliards de dollars en 2022.

La visibilité de l'association s'est accrue à la suite de la crise bancaire qui a secoué le Liban en 2019, affaiblissant le secteur bancaire traditionnel. Les dirigeants d'Al-Qard al-Hassan se sont alors positionnés comme une “institution alternative” au système bancaire légal et réglementé, attirant ainsi de nombreux citoyens, dont une majorité issue de l'environnement du Hezbollah.

Ce phénomène est étroitement lié à l'effondrement de l'économie légale et organisée du pays depuis 2019 et a offert une opportunité à ceux qui ont su mettre en place leur propre système financier parallèle échappant à toute réglementation et supervision légale.

Il est intéressant de noter qu'après l'effondrement économique au Liban, ces institutions ont commencé à installer des distributeurs automatiques de billets (ATM) près de leurs agences, principalement dans les zones contrôlées par le Hezbollah, afin de faciliter les retraits des déposants. Cette initiative a contribué à la transformation de l’association en une véritable banque, échappant au contrôle de l’État, ainsi qu'aux réglementations et circulaires de la Banque du Liban. Ces dernières années, Al-Qard al-Hassan a vu son réseau d’agences s’étendre, atteignant un total de 50 agences, avec environ 500 employés.

Parmi les cibles touchées par les frappes israéliennes au Liban figurent les agences de coopératives Al-Sajjad liées au Hezbollah, qui soutiennent les familles les plus défavorisées, ainsi que les agences d'Al-Qard al-Hassan situées dans la banlieue sud de Beyrouth. Depuis ces événements, les déposants tentent massivement de joindre l'association, sans succès, ce qui suscite des inquiétudes quant à l’avenir de l’institution, au sort des fonds déposés et aux quantités d’or utilisées en garantie des prêts. L'attaque du quartier général du Hezbollah dans la banlieue sud, qui pourrait abriter des coffres contenant les fonds et l’or d'Al-Qard al-Hassan, selon certains observateurs, a plongé les déposants dans l’incertitude. Beaucoup s’interrogent sur le sort de leurs avoirs et des garanties en or qu’ils ont fournies pour obtenir des prêts. À ce jour, le sort de ces dépôts reste pour le moins incertain.

En cas de perte, les répercussions sur les familles ayant eu recours à Al-Qard al-Hassan seraient considérables. Cette institution, véritable pilier de l'économie du Hezbollah, fonctionne en marge du système bancaire libanais et échappe au code de la “monnaie et du crédit”. Le Hezbollah a ainsi mis en place un système économique “parallèle, entièrement indépendant de l'État libanais et hors de toute supervision.

 

Commentaires
  • Aucun commentaire