La proposition de Hochstein: porteuse d'espoir ou annonciatrice d'un échec diplomatique?
L’envoyé spécial des États-Unis, Amos Hochstein, s’adresse aux journalistes après une réunion avec le président du parlement libanais à Beyrouth le 21 octobre 2024. ©AFP

Si l’on croyait, il y a quelques semaines, que les efforts diplomatiques s’étaient éteints en raison de l’incapacité des chancelleries étrangères à entreprendre une percée dans ce dossier complexe que sont les guerres à Gaza et au Liban, il semble qu’aujourd’hui, elles aient trouvé un nouvel élan. Porteur d’espoir? On ne peut que spéculer à ce sujet, surtout que les données dont dispose la scène libanaise au lendemain de la visite éclair au Liban de l’émissaire américain, Amos Hochstein, demeurent approximatives.

Lundi, l’émissaire spécial des États-Unis s’est rendu à Beyrouth, dans le cadre d’une énième initiative diplomatique visant à renforcer la stabilité au Liban, dans un contexte de tension accrue à la frontière sud avec Israël. De l’appel à la pleine mise en œuvre de la résolution 1701 du Conseil de sécurité des Nations unies au Liban à la nécessité de dissocier le dossier libanais de celui de la guerre à Gaza, les revendications américaines n’auraient pas réellement permis d’y percevoir une prochaine sortie de crise, du moins, pas dans le court terme.

Si certaines sphères politico-médiatiques ont qualifié de stérile les rencontres, mardi, de M. Hochstein avec le président du Parlement, Nabih Berry, et le Premier ministre sortant, Najib Mikati, d’autres ont, au contraire, salué les résultats de ces deux réunions, auxquelles s’est ajouté un entretien avec le commandant en chef de l’armée, Joseph Aoun. Pourquoi? Et de quel message s’est voulu M. Hochstein porteur?

Il n’est pas sans rappeler que cette visite s’inscrit dans la continuité des efforts américains pour la mise en œuvre de la résolution 1701, adoptée en 2006 après la guerre entre Israël et le Hezbollah. Résolution qui prévoit un cessez-le-feu entre les deux parties et le déploiement de l’armée libanaise, appuyée par la Force intérimaire des Nations unies au Liban, dans le sud du pays.

Il n’est pas sans rappeler aussi que l’arrivée de M. Hochstein à Beyrouth survient au lendemain de la remise, par les autorités israéliennes, d’un document destiné aux États-Unis qui pose des conditions – irréalisables – pour une solution diplomatique afin de mettre fin à la guerre. Parmi les “exigences” de l’État hébreu figurent, comme rapporté par le site américain Axios, dimanche, la possibilité pour les forces de défense israéliennes de s’engager dans une “application active” pour éviter un réarmement du Hezbollah et la liberté accordée à l’armée de l’air israélienne d’opérer dans le ciel libanais. Impératifs qui vont, au regard des autorités libanaises, à l’encontre de la souveraineté libanaise et des dispositifs de la résolution 1701.

Loin d’être complètement écartées par les États-Unis, à en croire certaines sources, ces conditions auraient été reprises par M. Hochstein lors de sa visite au Liban, selon un format légèrement différent, plus “tolérable” pour le Liban. D’ailleurs, le quotidien libanais Al-Akhbar, citant des diplomates arabes, fait état d’une feuille de route qu’aurait soumise mardi l’émissaire américain tant au chef du législatif qu’à celui de l’exécutif.

Ce document serait notamment axé sur une extension du pouvoir et de la mission des forces internationales opérant sur le sol libanais. L’élargissement de cette sphère d’intervention comprendrait, selon les mêmes sources, une augmentation significative de l’effectif des forces du maintien de la paix et des soldats libanais au nord du fleuve Litani, sur une distance d’au moins de kilomètres. Dans ce contexte, rappelons que les Israéliens, qui revendiquaient auparavant un retrait du Hezbollah de 30 km (conformément à la résolution 1701), se sont graduellement “rétractés” jusqu’à se “contenter” d’un retrait des combattants du Hezbollah d’une zone allant de 3 à 10 km de la frontière. Cela pourrait, selon eux, permettre d’instaurer le calme à la frontière entre le Liban et Israël, et favoriser le retour, en toute sécurité, des 68.000 habitants du nord d’Israël qui ont fui leurs maisons en raison de l’intensité des affrontements. Or, étant donné la détention par la formation pro-iranienne de missiles de longue portée – de 3 à 10 km –, on se demande dans quelle mesure l’État hébreu, qui recherche désormais une solution radicale, pourrait y consentir.

Dans sa feuille de route, toujours selon les sources précitées, M. Hochstein aurait également prévu une clause donnant aux forces internationales le droit d’inspecter tout bien, meuble ou immeuble soupçonné de contenir des armes et d'effectuer des patrouilles et des opérations de surveillance par drones dans toute zone géographique soumise aux dispositions de la 1701, en coordination avec l’armée libanaise. Ce même document donnerait, en outre, le droit aux forces qui opèrent dans la région de contrôler les activités portuaires et aériennes au Liban, avec le support technique des tours de contrôle installées le long de la frontière entre le Liban et la Syrie. Autant d’éléments qui, pour certains observateurs, constituent une atteinte à la souveraineté du pays et dissimulent une volonté masquée d’appliquer les conditions (voire une mainmise) israéliennes sous couvert international.

Pour revenir à ce qui a “officiellement” été annoncé à l’issue des réunions de M. Hochstein avec MM. Berry et Mikati, dont les deux responsables libanais se sont dits "satisfaits”, il convient d’évoquer trois principaux éléments.

Primo, l’émissaire américain a insisté mardi sur une “application rigoureuse” de la 1701, n’excluant pas la possibilité que des clauses y soient, dans un deuxième temps, ajoutées. La question de la résolution 1559, qui fait partie intégrante de la 1701 (dans son préambule), n’a toutefois pas été évoquée. Adopté en 2004, le texte onusien exigeait le retrait des troupes syriennes du Liban, le démantèlement de toutes les milices, y compris le Hezbollah, et l’organisation d’élections libres. De quelles clauses supplémentaires pourrait-il donc s’agir? Comment une 1701 augmentée peut-elle être évoquée alors qu’elle peine déjà à être appliquée dans sa version actuelle? Soulignons que, parmi les entraves à la mise en œuvre de la 1701, et quand bien même le gouvernement libanais incluant le Hezbollah aurait donné son accord, figure le “veto” israélien qui impose des conditions irréalisables, comme précisé plus haut. Autre obstacle “administratif”, le fait que la 1701 jouisse d’un mandat semi-coercitif, puisque réellement placée sous le chapitre 6 de la Charte des Nations unies (se fondant de manière générale et non explicite sur le chapitre 7 de la même Charte qui accorde aux résolutions un caractère exécutoire). Enfin, la crainte de l’État hébreu d’un retour au scénario d’après-guerre (celle de 2006), selon lequel la résolution onusienne, n’ayant été appliquée que partiellement, n’a pas empêché le renforcement militaire et logistique du Hezbollah.

Secundo, M. Hochstein a plaidé en faveur d’une dissociation des dossiers libanais et gazaoui, démarche quasi inconcevable pour un Hezbollah qui, depuis le début de la guerre à Gaza le 7 octobre dernier, prône le principe de l’unité des fronts et conditionne une cessation des hostilités au Liban à celle dans la bande voisine.

Tertio, l’émissaire du président américain a confié à ses hôtes libanais que les États-Unis concevaient un plan qui permettrait de mettre fin au conflit de manière permanente. Une manière de gagner du temps en attendant les élections américaines prévues en novembre? “Amos Hochstein a repris ce dont toutes les parties sont convaincues: la 1701, à elle seule, ne suffit plus”, indique Fadi Assaf, cofondateur de Middle East Strategic Perspectives, spécialisé dans les affaires internationales, la défense et la sécurité, notamment au Moyen-Orient. Il existe selon lui deux principaux camps: “ceux qui sont conscients de cette réalité, mais qui restent dans le déni, pensant pouvoir faire jouer le temps en leur faveur et retrouver au bout du compte le statu quo d’avant le 8 octobre 2023”. Ainsi, “le Hezbollah et Nabih Berry, et avec eux l’Iran, pensent qu’arracher un cessez-le-feu en échange d’une promesse d’implémenter la 1701 de manière toujours approximative et à la carte, en excluant la 1559, est encore jouable aujourd’hui”, signale-t-il. L’autre camp concerne, lui, ceux qui “refusent de prendre ce risque et entendent capitaliser sur l’évolution du rapport des forces militaires en défaveur du Hezbollah pour imposer manu militari une autre architecture de sécurité, avec Israël, les États-Unis et les pays européens comme principaux acteurs”, suggère-t-il. Il ajoute que “les deux camps misent sur la question du temps. Alors que les Israéliens et leurs alliés américains parient sur les implications politiques des succès militaires, l’Iran et ses proxies, dont principalement le Hezbollah au Liban, se hasardent en espérant qu’avec le temps, un retournement de situation pourrait se faire en leur faveur”. Analysant la situation telle qu’elle se présente actuellement, M. Assaf signale qu’Israël entend profiter des tergiversations de ses adversaires en leur soumettant une “proposition qu’ils ne peuvent accepter, où l’armée de l’État hébreu s’octroie le droit d’intervenir, et donc de violer la souveraineté libanaise à sa convenance”. Or, le Hezbollah et l’Iran, qui célèbreront le 23 octobre l’anniversaire des attentats de 1983 contre les Marines américains et les parachutistes français à Beyrouth, sont convaincus de leur capacité à retourner la situation en leur faveur et refusent donc de céder, sous la contrainte, sur une 1701 augmentée.

De son côté, l’administration américaine, comme les pays européens, dont principalement la France qui tient le 24 octobre une conférence internationale de soutien au Liban, “savent que le temps n’est ni aux négociations, ni aux arrangements, ni au cessez-le-feu”, estime M. Assaf. “Ils tentent, malgré tout, de freiner l’escalade qui se poursuit sur le front israélo-libanais, avec l’espoir d’éviter l’effondrement général de l’État et de préserver un minimum de chances pour relancer les négociations plus tard, dans un contexte plus propice”, poursuit-il.

Reposant sur une stratégie de désescalade et de coopération régionale pour éviter que le Liban ne sombre de nouveau dans une guerre ouverte, le plan américain tombera-t-il derechef à l’eau? Comment peut-on espérer ne serait-ce qu’une application simple de la 1701, lorsque l’on sait que les premiers renforts (en attendant les deux prochains autres – 1.500 soldats supplémentaires étant actuellement attendus à la frontière –) destinés à l’armée libanaise ne seront pas prêts avant 4 à 6 mois? Comment, lorsque l’on sait qu’à moins d’une victoire militaire totale de l’État hébreu, le Hezbollah continuera de construire des tunnels, de se munir d’armes en provenance de l’Iran et de renflouer ses positions? Comment, lorsque l’on sait que tant que le régime iranien est en place, une élimination totale de son proxy libanais est quasi indiscutable? Comment, lorsque l’on sait que les rênes du pouvoir politique au Liban sont presque entièrement entre les mains du Hezbollah et de ses alliés?

 

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