Roland Abou Khater scrute le ciel pour s'assurer qu'aucun avion de guerre israélien n'est en vue, hisse un drapeau blanc sur son camion et rejoint ses vignes avec ses vendangeurs, dans la vallée fertile de la Békaa, au coeur du terroir libanais.
Ses vignobles sont devenus un piège mortel, dans cette vaste plaine abritant les principaux domaines viticoles du Liban, un bastion du Hezbollah parmi les zones du pays les plus touchées par les bombardements israéliens.
"C'est traumatisant", affirme M. Abou Khater, propriétaire du domaine viticole Coteaux du Liban, fondé par son père en 1999.
"On vendange vite et on se dépêche de partir", confie-t-il à l'AFP.
Dans cette partie du Liban frontalière de la Syrie, Israël ne publie généralement pas d'ordres d'évacuation avant de frapper, car elle dit viser des positions du Hezbollah.
Si la cuverie des Coteaux du Liban, dans la région majoritairement chrétienne de Zahlé, a été épargnée par les attaques israéliennes, ses vignobles jouxtent, eux, des villages pris pour cible.
"De nombreux ouvriers et conducteurs ne veulent pas prendre de risques sur ces terrains, donc on travaille avec des équipes plus réduites", explique M. Abou Khater.
"Cela nous empêche de garder le même niveau d'efficacité: les récoltes qui duraient normalement un jour sur une parcelle, se font en trois ou quatre jours".
Vignoble bombardé
Avec 22 hectares de vignes, Coteaux du Liban produit en temps normal 150.000 bouteilles par an. Cette année, il va perdre environ 20.000 bouteilles: "il y a des vignobles où on ne peut pas se rendre", déplore M. Abou Khater.
Comme lui, de nombreux producteurs de la Békaa sont touchés par les bombardements israéliens, qui ont tué plus de 1.600 personnes au Liban depuis l'escalade des hostilités le 23 septembre entre Israël et le Hezbollah, d'après un décompte de l'AFP basé sur des chiffres officiels.
À l'est de Zahlé, la famille d'Elias Maalouf produisait du vin à Riyaq depuis plus d'un siècle, sans le commercialiser. En septembre, une frappe israélienne a touché le tout nouveau domaine viticole qu'il a lancé en 2015 pour honorer la tradition familiale.
Depuis, Château Riyaq est hors service, pris au piège d'une guerre qui ne montre aucun signe de répit.
"Je ne suis pas un combattant sur le front!", assène M. Maalouf, 42 ans, déplorant un bombardement qui a endommagé les caves et détruit des milliers de bouteilles et équipements utilisés pour la fermentation et le refroidissement.
Malgré le pilonnage de l'armée israélienne, il est resté à Riyaq, espérant sauver ce qui peut l'être. "Cette semaine je vais évacuer 60.000 bouteilles", dit-il.
"Pas notre première guerre"
Dans la Békaa, certaines entreprises viticoles sont plus anciennes que la République libanaise, établie en 1943.
Le Domaine des Tourelles a été fondé en 1868 par un Français tombé amoureux de la Békaa, François-Eugène Brun.
Le vignoble a survécu aux nombreuses crises ayant jalonné l'histoire tumultueuse du Liban, notamment les guerres précédentes avec Israël, en 2006 et en 1982.
"Malheureusement, ce n'est pas notre première guerre, mais j'espère que ce sera la dernière", affirme Emile Issa-El-Khoury, un des associés et gérant du domaine.
À ce jour, le Domaine des Tourelles a été épargné par les violences, mais certaines vignes se trouvent tout près de secteurs bombardés.
"Les fermiers ne peuvent même pas récolter le raisin", dit-il à l'AFP. Si lui a terminé ses vendanges, il s'inquiète pour les ventes.
"L'économie libanaise est à l'arrêt, on a perdu quasiment 90% de notre marché local", déplore le quadragénaire.
Et de s'insurger face à ceux qui présentent la Békaa comme un bloc monolithique soutenant le Hezbollah.
"Comme les autres régions du Liban, la Békaa est très diverse", plaide-t-il.
"On y trouve des fiefs du Hezbollah, mais il y a d'autres secteurs qui n'ont rien à voir avec tout ça."
Avec Hachem OSSEIRAN / AFP
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