Alors que l’émissaire du président américain, Amos Hochstein, a quitté le Liban pour Israël, afin de poursuivre les négociations et de parvenir à un cessez-le-feu entre le Hezbollah et Israël, l’État hébreu intensifie ses frappes contre le Liban et poursuit son incursion terrestre amorcée le 30 septembre. Dans ce contexte contradictoire, aux lignes d’avenir très incertaines, quelle est la stratégie adoptée par Israël? Est-ce la même qu’avant son retrait en 2000?
Une certitude l’emporte: depuis fin septembre, les Israéliens campent sur l’objectif qu’ils se sont fixé, à savoir celui d’assurer le retour chez eux de la population déplacée (les colons) des régions nord d’Israël.
Ainsi, les combats terrestres entre les deux parties s’accroissent et la troupe israélienne semble avoir opté pour l’option militaire malgré la pression de la communauté internationale, qui prône une solution diplomatique.
L’objectif est d’empêcher le Hezbollah de se reconstituer un arsenal militaire et de gagner du terrain pour avoir une incidence lors des négociations.
Dans un entretien accordé à Ici Beyrouth, Riad Kahwaji, analyste en sécurité et défense au Moyen-Orient, basé à Dubaï et directeur de l’Institut d’analyse militaire du Moyen-Orient et du Golfe (Inegma), estime que la stratégie israélienne a “un objectif clair: affaiblir les capacités militaires du Hezbollah au maximum” afin qu’il ne puisse plus menacer de nouveau l’intérieur d’Israël.
Pour ce faire, il s’agit pour les Israéliens de priver le Hezbollah de sa capacité de lancement de missiles ou encore de posséder une quantité d’armements. Il s’agit aussi de “réduire sa présence le long des frontières” et, comme objectif ultime, “de l’empêcher de reconstituer ses capacités militaires”, soutient M. Kahwaji.
Selon l’analyste, pour y parvenir, les Israéliens maintiennent une stratégie de négociation qui consiste “à prendre et à exiger davantage. Ils ont donc une liste d'exigences” de laquelle ils ne bougent pas d’un iota.
Bien que M. Hochstein soit en train de négocier sans relâche avec les parties prenantes, les négociations se font “sous le feu” du côté des Israéliens, comme il l’explique, et comme ils l’ont d’ailleurs réitéré à maintes reprises ces dernières semaines.
“Les Israéliens continuent donc à pilonner les régions à prédominance chiite au Liban-Sud, dans la vallée de la Békaa et dans la banlieue sud de Beyrouth, tout en élargissant, en parallèle, leur incursion terrestre”, indique-t-il comme étapes stratégiques. Pour l’heure, cela leur a permis d'atteindre “les tunnels et l'infrastructure du Hezbollah au sud du Litani, où ils les démantèleront eux-mêmes”.
Cette stratégie devrait permettre à l’État hébreu “d’avoir plus de poids dans les négociations. Plus ils gagnent du terrain (en profondeur au Liban), plus ils auront de poids à la table des négociations” pour imposer leurs revendications.
Pour M. Kahwaji, cette période transitoire de deux mois précédant la prise de fonction officielle du président américain Donald Trump permet donc aux Israéliens de gagner du temps en agissant de la sorte. “Ils ont plus de deux mois, ils ne sont donc pas du tout pressés” de négocier. Même si la situation au Liban est devenue très grave, l’analyste estime que c’est le Hezbollah qui est “actuellement sous pression”.
Quelle est l'importance stratégique et militaire du village de Chamaa?
Au cours des derniers jours, Israël a intensifié ses opérations terrestres dans le sud, pénétrant plusieurs villages frontaliers, dont Chamaa. Mais quelle est la symbolique de cette localité?
“C'est le promontoire d'une vieille forteresse qui domine tout depuis la rivière de Qasmiyé (au sud) jusqu'au littoral israélien de Nahariya et au-delà. Elle fait trois cents mètres de long et quatre-vingts mètres de haut. Tout ce qui se trouve devant elle est plat, il s'agit donc d'un point stratégique”, certifie M. Kahwaji.
Mais pour l’instant, où se trouvent les soldats israéliens? “Ils occupent le territoire qui était connu sous le nom de zone de sécurité avant l’an 2000”, précise-t-il. Pour rappel, le Liban commémore chaque 25 mai depuis 2000 "le Jour de la libération", qui est en réalité la date anniversaire du retrait israélien du Liban-Sud.
“Cette zone va de la localité de Bayada et de Chamaa à l'ouest jusqu'au nord et les fermes de Chebaa (annexées) à l'est. Elle comprendra des zones (villes et villages) comme Khiam, Wadi al-Hujair et Bint Jbeil.”
Toutefois, le directeur de l’Institut d’analyse militaire du Moyen-Orient et du Golfe (Inegma) indique que la zone de combat de 2024 n’est pas exactement la même qu’avant 2000. “La différence est que les Israéliens semblent travailler à la démolition de ces villes et villages. Cette fois-ci, il s'agira d’en faire une zone sans habitants. Il sera donc plus facile (pour eux) de la surveiller et de la contrôler”, explique-t-il.
Quid de l’importance d’atteindre Chamaa? “Comme prévu”, les soldats israéliens ont pu atteindre la “localité côtière proche de Bayada. Ils ont donc encerclé tout ce qui se trouve entre Bayada et Naqoura et ils vont maintenant prendre leur temps pour nettoyer (raser) toutes ces collines dans cette zone connue sous le nom de secteur occidental”. Afin de pénétrer Chamaa, “il semble qu'ils aient contrôlé la majeure partie de Khiam et qu'ils se frayent maintenant un chemin à travers Kfarchouba et le secteur est”, ajoute-t-il.
Quant aux affrontements qui se déroulent en même temps à Bint Jbeil, M. Kahwaji rappelle que “cette grande ville est très symbolique pour la résistance (le Hezbollah)”. C’est pourquoi les Israéliens poursuivent des batailles dans différents quartiers de Bint Jbeil.
Quelles sont les chances d'une solution diplomatique sous le gouvernement Netanyahou?
M. Kahwaji ne voit pas de solution diplomatique proche, “à moins que le Hezbollah n'accepte toutes les conditions proposées par le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou”. Il ne croit toutefois pas à cette probabilité, la situation ne semblant “pas assez mûre” d'un côté comme de l'autre.
Il y a d’un côté le Hezbollah, qui croit toujours en la possibilité de pouvoir “changer” la donne sur le terrain et qui pense pouvoir encore “s’accrocher”. Il y a surtout le parrain iranien qui continue de “faire pression sur le Hezb pour qu'il poursuive le combat”. Selon M. Kahwaji, l'Iran n'a pas encore renoncé à cette possibilité. “Il mise toujours sur un épuisement des Israéliens qui finiront par jeter l’éponge en cherchant à obtenir un cessez-le-feu qui permettra au Hezbollah de survivre afin de poursuivre le combat”.
Et de l’autre côté, il y a le bord israélien qui n’a “aucun intérêt pour le moment à parvenir à un cessez-le-feu”, certifie-t-il aussi. M. Netanyahou “s'efforcera de ralentir les choses, probablement parvenant à un accord juste avant que Donald Trump ne prenne ses fonctions”.
“Je pense que nous allons voir passer un certain temps avant que la situation ne soit suffisamment mûre des deux côtés pour qu’un accord diplomatique puisse voir le jour”, conclut M.Kahwaji.
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