À Deir Mimas, la peur n’a pas tué l’espoir
À plusieurs reprises durant la guerre, Deir Mimas s'est retrouvé sous le feu croisé du Hezbollah et de l'armée israélienne. ©Ici Beyrouth

Tous les jours, Maha allume un cierge à la Vierge Marie. Le 22 novembre, jour du 81ᵉ anniversaire de l’indépendance, elle effectue le même geste, mais cette fois avec une angoisse plus profonde. L’armée israélienne venait de prendre position dans son village, Deir Mimas, situé à près de sept kilomètres de la frontière sud, dans le caza de Marjeyoun, désormais coupé de celui de Nabatiyé, depuis qu’un barrage israélien a été établi au niveau du pont de Khardali.

Sur les près de quatre mille habitants que compte cette localité chrétienne, une vingtaine seulement est restée. «Je ne pars pas parce que ce cierge ne peut pas s’éteindre, il doit rester allumé, car Notre-Dame apportera la paix. Nous prions chaque jour pour que cette guerre prenne fin très prochainement», ajoute cette septuagénaire restée avec son fils, un soldat de l’armée libanaise.

Depuis jeudi, tous sont calfeutrés chez eux. Dans la nuit, un drone israélien a survolé le village, diffusant un message alarmant sommant les résidents de «rester chez eux afin d’éviter tout danger», ce qui a accentué le climat de peur et d’incertitude qui règne depuis un moment parmi la population de la bande frontalière. «C’était effrayant. Le message du haut-parleur résonnait dans les rues désertes: restez chez vous, ne sortez pas, vous mettrez votre vie en péril», raconte un habitant de la famille Abou Jamra. «C’est déshumanisant. Nous ne savons pas s’il s’agit d’une véritable menace ou simplement d’une intimidation, mais cela nous rappelle que nous sommes surveillés en permanence. Nous nous sentons très isolés, abandonnés. Nous vivons littéralement sous les missiles et nous ignorons ce qui va se passer», poursuit cet habitant qui ne songe pourtant pas à quitter son village, même s’il en a la possibilité.

Durant cette même nuit, le prêtre du village voisin de Qlayaa, le père Pierre Raï, a envoyé un message urgent aux habitants, leur enjoignant de rester chez eux par crainte d’une attaque imminente de l’armée israélienne qui avançait davantage dans les villages voisins. Cette mise en garde a semé la panique parmi la population des deux villages, qui n’a toujours pas perdu espoir. «On se prépare au pire, mais on espère aussi un règlement rapide et un cessez-le-feu le plus tôt possible. La tension est à son comble. Nous sommes dans un état de siège, cherchant désespérément des réponses aux questions en rapport avec notre survie et notre sécurité», commente Inaya, résidente de Qlayaa.

Une ambiance de terreur

L’armée israélienne n’est pas entrée dans ce village, contrairement à Deir Mimas, une localité au charme indicible, avec ses maisons traditionnelles libanaises aux murs de pierres et aux toits de tuiles rouges, nichées au milieu d’oliveraies. L’armée israélienne a peut-être choisi d’y prendre position à cause de sa situation stratégique. Deir Mimas est situé sur un promontoire qui surplombe, à l’ouest, le Litani et le château de Beaufort, face auquel l’armée israélienne avait également pris position il y a quelques jours, et, à l’est, le Mont Hermon.

Depuis le début de la guerre, il est pris entre les feux croisés du Hezbollah, qui n’y a aucune présence, et de l’armée israélienne: d’un côté, il y a les positions éloignées de ce groupe à partir desquelles des roquettes sont lancées sur Israël, de l’autre, la ligne de tir israélienne.

Les échanges de tirs sont si intensifs que le cimetière a également été touché. Jamais la menace d’une guerre de grande ampleur n’a été aussi palpable, au fur et à mesure que l’armée israélienne élargissait ses incursions et multipliait ses avis d’évacuation.

Jeudi soir, des chars israéliens ont mené leur incursion la plus poussée depuis le début de la guerre, arrivant aux abords du couvent de Deir Mema, à Deir Mimas. «Un grand nombre de chars se sont postés sur la colline de Deir Mema et se sont positionnés à côté de la station Morkos, à l’un des carrefours du village», a précisé Jean, un résident du village.

L’armée israélienne avançait sur le terrain, en menant parallèlement des frappes aériennes intensives. À peu près treize raids ont été effectués jeudi.

Les habitants restent toujours très prudents. Les restrictions d’accès à l’eau, à l’électricité et aux soins médicaux aggravent cependant les conditions de vie. «Nous avons appris à vivre avec le son des bombardements, à nous serrer les coudes, mais il y a des jours, comme celui-ci, où l’espoir s’érode», lâche Sana.

Dans une petite maison au cœur de ce village, Martha, enceinte de huit mois, vit des moments d’angoisse mêlés d’espoir. Elle se confine chez elle et s’inquiète de la pénurie d’eau et de soins médicaux. «J’attends mon second enfant. Nous avons été sommés de rester à l’intérieur. Il est difficile de vivre dans l’incertitude. Je me réveille souvent au milieu de la nuit à cause des bombardements. Je crains pour ma vie et celle de mon bébé. J’essaie de maîtriser mes nerfs malgré la grande anxiété ressentie face à ce siège, pour que je puisse donner naissance à mon bébé dans un état et un monde de paix», confie-t-elle, d’une voix tremblante.

Mais pourquoi sont-ils restés? Comme beaucoup de leurs compatriotes dans les villages voisins où le Hezbollah n’a pas de présence, ils n’ont pas voulu abandonner leur terre, «parce que c’est ici notre maison, nos oliviers, notre vie, et nous allons maintenir notre présence», lance Fadi.

Pour Layla, la mémoire de Deir Mimas est empreinte de nostalgie. «J’ai vécu ici toute ma vie, comme mes parents et mes grands-parents. Ils ont surmonté des épreuves, et nous devons faire de même. Nous sommes des personnes résilientes, pas des victimes», affirme-t-elle avec détermination, en dépit d’une situation excessivement précaire.

Le barrage sur la route de Khardali, au niveau du carrefour Kfarkila, Qlayaa et Bourj el-Moulouk, qui relie plusieurs localités du caza de Marjeyoun, a eu pour conséquence l’isolement de plusieurs villages. «On se retrouve pris au piège dans un conflit qui n’est pas le nôtre et qui nous a été imposé. Nous sommes aujourd’hui prisonniers sur notre propre terre», lamente Abou Fouad.

Le couvent et l’église Deir Mema, à Deir Mimas, où l’armée israélienne a pris position.

 

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