L'interpellation de l'écrivain franco-algérien Boualem Sansal à Alger suscite une vague d'indignation mondiale. Des Prix Nobel et intellectuels se mobilisent pour sa libération, dénonçant une atteinte intolérable à la liberté d'expression et un climat de peur en Algérie.
L'arrestation de l'écrivain franco-algérien Boualem Sansal à son arrivée à l'aéroport d'Alger le 16 novembre dernier soulève une vague d'indignation dans le monde littéraire et au-delà. Âgé de 75 ans, cet intellectuel engagé, naturalisé français en 2024, est connu pour ses prises de position courageuses contre l'islamisme et le totalitarisme. Son interpellation par les autorités algériennes, confirmée le 22 novembre par l'agence de presse officielle Algérie Presse Service, a suscité une forte mobilisation internationale, notamment de la part de plusieurs prix Nobel de littérature.
À l'initiative de Kamel Daoud, lauréat du prix Goncourt 2024, une tribune signée par de nombreuses personnalités du monde des lettres a été publiée samedi 23 novembre dans l'hebdomadaire Le Point. Les signataires, parmi lesquels figurent les Prix Nobel Annie Ernaux, Jean-Marie Le Clezio, Orhan Pamuk et Wole Soyinka, mais aussi Salman Rushdie, Sylvain Tesson et Bernard-Henri Lévy, exigent "la libération immédiate" de Boualem Sansal et de tous les écrivains emprisonnés pour leurs idées.
Dans ce texte poignant, Kamel Daoud exprime sa "profonde inquiétude" face à la situation "alarmante" qui prévaut actuellement en Algérie. "Aujourd'hui, je m'adresse à vous avec une profonde inquiétude", écrit-il. "L'arrestation de Boualem Sansal est une nouvelle tragique montrant une réalité alarmante en Algérie ainsi que le symbole de l'entrave à la liberté d'expression."
Le Prix Goncourt dresse un portrait émouvant de son ami, le comparant à "un vieux prophète biblique, souriant" face à l'adversité. Il dénonce une situation où "désormais, tout est possible : la perpétuité pour un texto, la prison pour un soupir d'agacement."
Kamel Daoud rappelle l'engagement constant de Boualem Sansal "contre l'oppression, l'injustice, le totalitarisme islamiste", soulignant le courage dont il a toujours fait preuve. Il décrit un climat de peur qui pèse sur les intellectuels et les acteurs du monde du livre en Algérie: "Les écrivains et les intellectuels, les éditeurs, les libraires, vivent dans la peur des représailles, des accusations d'espionnage et des arrestations arbitraires, des procès et des diffamations et des attaques médiatiques violentes sur leur personnel et leurs proches."
La maison d'édition Gallimard, qui publie les ouvrages de Boualem Sansal en France, a également réagi à son arrestation. Dans un communiqué, Antoine Gallimard, PDG des éditions Gallimard, a exprimé sa "stupeur et son indignation" face à cette "atteinte intolérable à la liberté d'expression". Il a appelé à la "libération immédiate" de l'écrivain et a assuré que sa maison continuerait à "défendre avec la plus grande détermination" son auteur et son œuvre.
Cette mobilisation sans précédent des Prix Nobel et des grandes figures littéraires en faveur de Boualem Sansal témoigne de l'émotion suscitée par son arrestation, perçue comme une atteinte intolérable à la liberté d'expression. Elle intervient alors que les autorités algériennes ont officiellement confirmé l'interpellation de l'écrivain, tout en laissant planer le doute sur les motifs précis de cette décision.
Dans un article publié le 22 novembre, l'agence Algérie Presse Service, qui dépend du ministère algérien de l'Information, affirme que les écrits de Boualem Sansal sont susceptibles de porter atteinte "à la sûreté de l'État, à l'intégrité du territoire, à la stabilité ou au fonctionnement normal des institutions". Des accusations graves qui pourraient déboucher, selon la même source, sur des poursuites pour "terrorisme" passibles de la réclusion criminelle à perpétuité.
L'agence officielle s'en prend également aux appels à la libération de l'écrivain lancés par ce qu'elle qualifie de "France macronito-sioniste", y voyant "une preuve supplémentaire de l'existence d'un courant 'haineux' contre l'Algérie", un "lobby qui ne rate pas une occasion pour remettre en cause la souveraineté algérienne".
Ces propos traduisent la tension diplomatique qui règne actuellement entre la France et l'Algérie, sur fond de désaccords autour de la question du Sahara occidental. Paris a en effet apporté en juillet dernier son soutien au plan d'autonomie marocain pour ce territoire disputé, ce qui a fortement déplu à Alger.
Mais au-delà de ces considérations géopolitiques, c'est bien la question des libertés fondamentales qui est en jeu dans cette affaire. Comme le souligne Christian Estrosi, maire de Nice, dans une tribune publiée après l'arrestation de Boualem Sansal, cette "méthode venue d'un autre siècle" doit nous interroger sur "notre propre détermination à lutter contre le fanatisme".
Pour l'élu, l'écrivain incarne "des vertus rares : la bravoure, la sincérité, le panache, jusqu'à risquer sa vie", ainsi que la "promesse d'un autre avenir" pour l'Algérie, "loin des lourds héritages du fanatisme et de l'intolérance". Il voit en lui un "pont entre les deux rives de la Méditerranée", qui refuse "de limiter le lien entre l'Algérie et la France aux ressentiments ou à la repentance".
L'onde de choc provoquée par l'arrestation de Boualem Sansal ne se limite pas à la France. De nombreux intellectuels algériens ont exprimé leur solidarité et leur inquiétude, à l'instar de Yasmina Khadra qui, dans des propos recueillis par l'AFP, dénonce une situation "insupportable".
Face à cette mobilisation internationale, et alors que le président Emmanuel Macron s'est dit "très préoccupé" par le sort de l'écrivain franco-algérien, les autorités d'Alger ne peuvent rester sourdes aux appels à la libération de Boualem Sansal. Au-delà de son cas personnel, c'est la question de la liberté d'expression et de création qui est posée avec force par cette affaire retentissante.
Dans un monde où les voix discordantes sont trop souvent réduites au silence, où les intellectuels critiques sont menacés et persécutés, il est plus que jamais nécessaire de défendre le droit inaliénable des écrivains et des artistes à s'exprimer librement, sans crainte des représailles. C'est le sens du combat mené par Boualem Sansal tout au long de sa vie, un combat que la communauté internationale se doit de poursuivre avec détermination, pour que triomphent partout les valeurs de tolérance, de dialogue et de respect des droits humains.
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