Exilé en Allemagne, le cinéaste iranien Mohammad Rasoulof voit son thriller The Seed of the Sacred Fig ("Les graines du figuier sauvage") représenter son pays d’accueil aux Oscars. Une reconnaissance teintée de gratitude et d’amertume face à l’exil et la répression iranienne.
Après sa fuite précipitée d'Iran, son dernier film représentera l'Allemagne aux Oscars : une échappatoire symbolique pour le réalisateur Mohammad Rasoulof, à la fois reconnaissant et accablé d’en arriver là pour faire reconnaître son art.
The Seed of the Sacred Fig ("Les graines du figuier sauvage"), son thriller paranoïaque tourné dans la clandestinité en Iran, a enchanté la critique et raflé le prix spécial du jury à Cannes.
Cependant, la théocratie au pouvoir à Téhéran n'a pas soumis cette plongée dans une famille disloquée par le poids de la répression iranienne pour l’Oscar du meilleur film international.
"Il est évidemment inimaginable que la République islamique puisse présenter un tel film aux Oscars", confie à l'AFP Mohammad Rasoulof avant sa sortie mercredi aux États-Unis. "En fait, si c'était possible, le film n'aurait jamais existé."
C'est l'Allemagne, où le cinéaste s'est exilé, qui propulse ce long-métrage dans la course aux statuettes, largement pressenti pour une nomination. Le film a été financé par des sociétés de production françaises et allemandes.
"Je suis ravi que l'Allemagne ait vu la portée internationale du film et lui ait ouvert les bras", reprend Mohammad Rasoulof. "C'est comme porter un flambeau, un signe pour les cinéastes travaillant sous contrainte dans le monde entier."
Mais le réalisateur avoue néanmoins être "doux-amer" face à cette situation : "J'ai des sentiments assez contradictoires."
Une plongée dans la répression
Le film se déroule en pleine répression du mouvement "Femme, vie, liberté", lors duquel des centaines de personnes ont été tuées, selon les ONG.
On y suit Iman, un juge d'instruction au service de la République islamique, alors que la révolte gronde après la mort de Mahsa Amini, arrêtée fin 2022 pour ne pas avoir respecté le strict code vestimentaire religieux.
Sa femme Najmeh maintient le lien avec leurs deux filles rebelles, Rezvan et Sana, qui soutiennent secrètement les manifestations sans y participer.
Iman est d'abord réticent à signer des ordres d'exécution de manifestants sans preuve. Mais la pression du régime s'accroît, instillant chez lui un soupçon croissant envers la jeunesse. Lorsque le pistolet qu'on lui avait confié disparaît, sa paranoïa apparente fait exploser sa famille.
Un exil forcé
À la première du film à Cannes, Mohammad Rasoulof venait tout juste de fuir l'Iran à pied, traversant les montagnes pour rejoindre l'Europe. Condamné à huit ans d'emprisonnement pour "collusion contre la sécurité nationale" après avoir dénoncé la "corruption" et "l'incompétence" des autorités, il avait déjà passé du temps derrière les barreaux.
L'actrice Soheila Golestani, qui interprète Najmeh, la mère de famille, est toujours en Iran et subit "la pression la plus forte", rappelle le cinéaste.
Selon lui, les procédures judiciaires contre les cinéastes iraniens se sont accélérées ces dernières semaines.
Une vision contrastée du cinéma
Le film officiellement sélectionné par l'Iran pour les Oscars, The Seed of the Sacred Fig ("Les graines du figuier sauvage "), est décrit par les médias d'État comme un drame mettant en avant "la beauté" du pays et "l'authenticité de la famille iranienne".
Rasoulof confesse son peu d'intérêt pour ces productions "réalisées selon les diktats de la censure iranienne".
"Elles tendent à être assez éloignées de la réalité. Si vous les regardez, vous avez l'impression qu'on insulte votre intelligence", critique-t-il.
Son thriller, quant à lui, revendique des influences hollywoodiennes, notamment Les chiens de paille de Sam Peckinpah et Shining de Stanley Kubrick: "J'ai aimé jouer avec les genres et les mélanger d'une manière nouvelle."
Le cinéaste travaille actuellement sur un film d'animation autour d'Abbas Nalbandian, un dramaturge engagé ayant vécu des expériences marquantes autour de la révolution iranienne.
Habitué à diriger ses films à distance pour éviter la censure, Mohammad Rasoulof espère mener à bien ce projet malgré son exil.
"C'est très dur de réaliser que cela dure déjà depuis six mois", confie-t-il. "L'Iran me manque beaucoup."
Avec AFP
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