
Dans l’Iran prérévolutionnaire, la scène pop rock flamboyante mêlait influences occidentales et rythmes persans. Figures marquantes comme Googoosh, Kourosh Yaghmaei ou Farhad rassemblaient des foules et inventaient un nouvel âge d’or musical, désormais revisité par la jeunesse iranienne.
À l’aube des années 1960-1970, l’Iran connaissait l’une de ses périodes culturelles les plus foisonnantes. Dans un pays en pleine mutation, la jeunesse iranienne découvrait les guitares électriques et les harmonies venues d’Occident, tout en y insufflant la poésie et les mélodies de la tradition persane.
Des groupes de rock psychédélique jouaient dans les caves de Téhéran, inspirés des Beatles, des Stones ou des Ventures. Ils chantaient en persan, et ce mélange inattendu donnait naissance à un son hybride, libre et audacieux.
Deux artistes symbolisent cette époque:
Googoosh (Fāegheh Atashin), enfant-star dès l’âge de 4 ans dans les spectacles du shah, devient l’emblème de la pop iranienne. Surnommée «la reine de la pop», elle enchaîne tubes, films et tournées internationales dans les années 70. Son style, mêlant textes persans, pop, blues et disco, en fait une icône. Elle reprendra ses tournées mondiales dans les années 2000, ovationnée à Los Angeles, Dubaï, Paris ou encore Toronto, s’imposant comme un symbole vivant de la liberté artistique iranienne.
Kourosh Yaghmaei, surnommé «le parrain du rock psychédélique iranien», publie en 1973 son chef-d’œuvre Gol-e Yakh, vendu à plus de cinq millions d’exemplaires. Sa musique fusionne poésie persane et guitare électrique, marquée par Hendrix ou Pink Floyd. Malgré la censure post-1979, son héritage perdure. Redécouvert grâce à la compilation Back from the Brink (Now-Again Records, 2011), il est aujourd’hui considéré comme une figure culte du rock mondial.
Après Yaghmaei, d’autres voix fortes émergent. Farhad Mehrad, leader du groupe The Rebels, adopte un style rock influencé par la soul, avec des textes engagés. Sa chanson Jomeh (1971) est devenue culte. Il subit de lourdes restrictions après 1979, mais continue à composer avec détermination. Profondément marqué par la Révolution, Farhad refusera longtemps de rechanter dans les années 1980, en raison du climat répressif. Il ne reprendra l’enregistrement qu’au cours des années 90, avec une gravité mélancolique.
Le bouleversement politique de 1979 change tout. La République islamique interdit les concerts, impose une censure stricte et bannit toute musique jugée trop occidentale. Des artistes comme Googoosh, Yaghmaei ou Farhad doivent cesser toute activité publique, et leurs œuvres disparaissent des médias.
Googoosh reste silencieuse en Iran jusqu’en 2000, avant de refaire surface à Los Angeles. Yaghmaei tente de poursuivre en Iran, composant pour enfants ou orchestres, mais ses albums restent censurés, jusqu’à ce que ses anciens titres soient redécouverts dans des compilations internationales comme Back from the Brink. Farhad, lui, attendra les années 1990 pour publier à nouveau, avant sa mort en 2002.
Aujourd’hui, une nouvelle génération explore ces tubes oubliés. Grâce à des compilations comme Zendooni, Rangarang ou Raks Raks Raks, le public mondial redécouvre un âge d’or méconnu de la pop iranienne. En Iran aussi, une jeunesse en quête d’identité numérique écoute ce patrimoine avec nostalgie, comme un témoignage d’une liberté artistique perdue, mais jamais effacée.
Sur place, ce sont des réseaux comme SoundCloud, Telegram ou des forums cryptés qui permettent à ces sons du passé de circuler malgré la censure.
Ces musiques anciennes servent aujourd’hui de rempart symbolique face à la censure. Googoosh elle-même a exprimé sa fierté envers les protestataires modernes, rappelant la force d’une voix née dans une époque où l’on chantait et dansait librement.
L’histoire de la pop iranienne d’avant 1979 est celle d’un formidable élan créatif, un carrefour d’influences où pop, rock, funk, psychédélisme et tradition se rejoignent. Sous les restrictions imposées par le régime actuel, ces artistes continuent d’inspirer, et leur mémoire suscite un regain d’intérêt.
Cet héritage musical aux mille couleurs, redécouvert grâce aux vinyles exhumés, aux compilations internationales et aux réseaux numériques, laisse entrevoir les possibles d’une émancipation culturelle. À travers ces sons du passé, une nouvelle jeunesse reprend la parole, avec la fougue, la nostalgie et l’espoir d’un temps où musique rimait encore avec… liberté!
Une renaissance par le vinyle
Depuis les années 2010, plusieurs labels internationaux redonnent vie à la pop iranienne d’avant 1979 en pressant des vinyles collectors. Le label américain Now-Again Records a notamment publié Back from the Brink (2011), une compilation en double vinyle, regroupant les titres rares et interdits de Kourosh Yaghmaei, restaurés à partir des cassettes originales. Ce travail minutieux de réédition a permis à la scène psychédélique iranienne d’obtenir une reconnaissance mondiale, longtemps étouffée par la censure.
Depuis, d’autres labels comme Finders Keepers ou Light in the Attic ont suivi le mouvement, contribuant à faire renaître un patrimoine musical occulté pendant des décennies.
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