
Entre 1967 et 1977, l’Iran accueillait un festival unique au monde. À Shiraz et Persépolis, artistes venus d’Orient et d’Occident se rencontraient dans une ambiance de liberté et de création. Une décennie intense, aujourd’hui presque effacée de la mémoire officielle.
À la fin des années 1960, l’Iran cherche à montrer une nouvelle image au monde. Le pays, dirigé par le shah Mohammad Reza Pahlavi, veut s’inscrire dans la modernité. Dans ce contexte, naît une ingénieuse idée: créer un festival d’arts capable de réunir des artistes de tous horizons, de toutes traditions et de toutes disciplines.
Le Festival des arts de Shiraz-Persepolis voit le jour en 1967. Pendant dix ans, il attire des musiciens, des danseurs, des metteurs en scène et des penseurs venus d’Europe, d’Asie, d’Afrique, du Moyen-Orient et des Amériques. Le but? Faire dialoguer les cultures, mélanger l’avant-garde occidentale et les traditions orientales, dans un esprit d’ouverture et de recherche.
Les spectacles ont lieu dans deux lieux emblématiques. D’abord à Shiraz, ville poétique, réputée pour sa douceur de vivre, son amour des lettres et son raffinement. Puis à Persépolis, site antique grandiose, ancienne capitale de l’Empire perse, où les artistes se produisent au pied des colonnes millénaires, souvent à la tombée du jour. Le décor donne aux représentations une dimension presque mystique.
Le public découvre alors des formes artistiques rarement vues ailleurs: théâtre Nô japonais, musiques soufies d’Asie centrale, danses africaines, rituels indiens, chants balinais. À côté de ces traditions vivantes, des figures majeures de l’avant-garde européenne présentent leurs œuvres: John Cage, Karlheinz Stockhausen, Jerzy Grotowski, Merce Cunningham, Maurice Béjart, Robert Wilson, Peter Brook…
Certaines performances laissent le public sans voix. On entend des sons étranges, on voit des danses abstraites, des mises en scène minimalistes ou déroutantes. Parfois, le choc culturel est grand. Mais c’est aussi cela que cherche le festival: bousculer.
Une liberté interrompue trop tôt
Au fil des années, ce rendez-vous devient un symbole. Le Festival de Shiraz-Persepolis ne ressemble à rien d’autre. Il ne cherche pas à plaire au plus grand nombre. Il ne suit pas de modèle. Il offre un espace de liberté artistique rare, dans un pays musulman en pleine mutation.
Mais cette liberté attire aussi les critiques. Certains dans la société iranienne trouvent ce festival trop occidental, trop élitiste et déconnecté du peuple. D’autres dénoncent son coût, sa dimension provocante, voire sa proximité avec le pouvoir. Peu à peu, le climat se tend.
En 1977, la dernière édition a lieu dans une ambiance plus tendue. Moins de tolérance, plus de prudence. L’année suivante, la révolution commence. En 1979, la République islamique est instaurée, et l’événement est immédiatement supprimé. Ses archives sont en partie détruites ou censurées. Les artistes impliqués sont réduits au silence, ou partent en exil. Le souvenir du festival disparaît peu à peu de la mémoire publique.
Et pourtant, ceux qui y ont participé, artistes ou spectateurs, n’ont jamais oublié. Ils parlent d’un moment d’exception, d’un Iran curieux, fier de sa culture, mais ouvert au monde. Une sorte d’utopie artistique, brève mais marquante.
Aujourd’hui, le Festival de Shiraz-Persepolis est redécouvert. Des travaux de recherche, des documentaires, des expositions lui sont consacrés. Des images d’archives circulent à nouveau. Et pour une nouvelle génération d’Iraniens, ce festival représente un autre visage de leur pays, un visage libre, inventif et cosmopolite.
Une nuit à Persépolis avec Xenakis
En 1972, le compositeur grec Iannis Xenakis crée une œuvre monumentale spécialement pour les ruines de Persépolis. Intitulée Persephassa, la performance mêle percussions en direct, bande sonore électronique, feux de Bengale et jeux de lumière projetés sur les colonnes millénaires de la cité antique. Le public, assis en plein air face à l’histoire, assiste à une expérience totale: ni concert, ni rituel, ni spectacle au sens classique, mais une immersion sensorielle inédite, conçue pour fusionner passé, présent et futur.
Ce moment a marqué les esprits: Xenakis avait conçu la musique pour dialoguer avec l’architecture, la résonance du site et l’esprit de la Perse ancienne. Le vacarme des tambours, les éclairs lumineux et l’obscurité des ruines donnaient une impression d’apocalypse douce, de transe architecturale. Ce fut peut-être le sommet du festival, et aussi l’un de ses derniers grands chocs. Un moment suspendu dans le temps, devenu mythique.
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