Le 22 novembre 2024 à 20h30, la salle Déméter de La Criée à Marseille a accueilli une soirée unique mêlant lecture musicale et dessin. Zeina Abirached a revisité Le Prophète de Khalil Gibran, accompagnée par l'auteure-compositrice-interprète Tania Saleh et le musicien Guillaume Retail.
Le 22 novembre 2024, la salle Déméter de La Criée à Marseille a accueilli une soirée exceptionnelle réunissant plus de 800 spectateurs pour une lecture musicale et dessinée autour de Le Prophète de Khalil Gibran. Zeina Abirached, dessinatrice reconnue, a sublimé l’œuvre de Gibran à travers des projections de ses dessins en noir et blanc, accompagnée de l'auteure-compositrice-interprète Tania Saleh ainsi que du musicien Guillaume Retail. Cet événement a mis en lumière l’universalité des messages de Gibran et l'importance de l'art dans un monde en perpétuelle transformation.
Zeina Abirached et le projet Gibran
Ce projet a vu le jour grâce aux éditions Seghers, qui ont souhaité commémorer le centenaire de la publication du livre Le Prophète, paru en 1923, avec une édition intégralement illustrée. Zeina Abirached, choisie pour relever ce défi artistique, a accueilli cette proposition avec enthousiasme. "Ce texte, sans doute le plus connu de Khalil Gibran, résonne profondément au sein de la diaspora libanaise, mais il a également une signification personnelle pour moi. Je n’avais jamais vraiment lu ce texte avant d’entreprendre ce projet. Ce fut une véritable rencontre", explique-t-elle.
Travaillant à partir de la traduction française de Didier Sénécal, qu’elle décrit comme "une version idéale pour accueillir une deuxième langue, celle du dessin", elle a rapidement trouvé son inspiration: "Dès ma première lecture, des images se sont imposées à moi. Très vite, elles ont pris forme sur le papier."
L’introduction de l’ouvrage a particulièrement marqué la dessinatrice. Elle raconte: "Le récit commence au moment précis où El Moustapha, le prophète, voit arriver le navire qui doit le ramener sur son île natale, après douze ans d’attente. Mais au lieu de se précipiter vers l’embarcadère, il est saisi d’hésitation, d’une certaine lenteur. Ce moment m’a profondément émue, car il fait écho à la complexité de l’exil et des retours, des thèmes qui résonnent particulièrement chez les Libanais."
Pour elle, Le Prophète aborde les départs et les retours sans jamais nommer directement l’exil, tout en étant imprégné de cette thématique universelle. "Ce rapport intime à l’exil, ce choix de quitter ou de rester, m’a beaucoup marquée et a donné un sens profond à mon travail", confie-t-elle. Elle accorde également une grande importance à l’équilibre visuel de ses illustrations en noir et blanc, qu’elle associe à une forme de "partition musicale". "Le noir et blanc m’offre un rapport très intime et puissant."
La sortie du livre, le 12 octobre 2023, juste après la date du 7 octobre, a ajouté une résonance particulière au projet. "Dans un Moyen-Orient où la barbarie semblait déchaînée, ce texte, porteur de sagesse, de poésie et de paix, apparaissait comme un refuge", affirme-t-elle.
La lecture de l’œuvre Le Prophète a été conçue comme un dialogue artistique entre langues, disciplines et cultures. "Face à l’urgence de ce monde, en plus de projeter les images sur un écran sur scène, j’avais aussi à cœur de faire entendre la langue arabe. Tout naturellement, c’est une lecture en français et en arabe qui a d’abord été réalisée au Liban, lors du dernier festival du livre organisé par l’Institut français. Cela s’est déroulé sur la scène du théâtre Le Monnot, où j’avais invité plusieurs auteurs libanais à participer. Ce fut le point de départ."
L’adaptation de cette performance à Marseille, ville portuaire et carrefour des cultures, a amplifié son impact. "Cette lecture bilingue, soutenue par mes dessins en noir et blanc, prenait une signification encore plus forte dans un contexte aussi poignant", conclut Zeina Abirached.
Tania Saleh et la dimension musicale
Tania Saleh, profondément marquée par cette collaboration, a partagé son regard sur l’importance de l’art face aux défis actuels: "L’art est une échappatoire, loin des écrans, des téléphones et des nouvelles angoissantes. La musique, la nature, la danse, le théâtre et la poésie nous permettent de continuer à rêver et de trouver une raison de vivre." Elle insiste sur la nécessité de préserver l’authenticité de l’art humain: "Je ne suis pas contre la technologie comme outil, mais il est essentiel que l’art reste une création humaine, sans être absorbé par la machine."
Le projet est né d’une admiration réciproque entre les deux artistes. "Zeina Abirached m’a proposé de lire des extraits de l’œuvre Le Prophète en arabe, puis m’a demandé de chanter un morceau inspiré de Gibran. J’ai tout de suite accepté, car j’admire profondément son travail, ancré dans la culture libanaise, mais aussi empreint d’un style unique", explique Tania Saleh.
Le moment musical de la soirée a culminé avec l’interprétation a cappella d'Al Mahabba, une chanson des frères Rahbani, rendue célèbre par Feyrouz. "Cette collaboration a été naturelle et vibrante, magnifiant l’expérience pour le public", souligne Tania Saleh.
Marseille, départ méditerranéen vers d’autres ports
Zeina Abirached, dessinatrice franco-libanaise, explore avec sensibilité et créativité les thèmes de la guerre, de la peur et de la résilience dans ses romans graphiques. Née à Beyrouth en 1981, elle raconte son enfance marquée par la guerre civile libanaise et les tragédies actuelles de sa région, mêlant humour et poésie pour adoucir la noirceur. À travers des œuvres comme Mourir partir revenir ou Je me souviens (Beyrouth), elle plonge dans des récits à la fois intimes et universels. Aujourd’hui, elle continue de transmettre un message d’espoir tout en rendant hommage aux mots de Khalil Gibran et en poursuivant ses créations graphiques qui cherchent à transformer les tragédies en art. Cette soirée à La Criée a également marqué un tournant pour l’artiste, qui a reçu depuis des propositions pour exporter cette performance dans d’autres pays.
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