Plus de treize ans après le début de la guerre, la Syrie reste le théâtre de conflits complexes, où plusieurs factions se disputent le contrôle de différentes zones d’influence. Mercredi dernier, après l’instauration d’un cessez-le-feu entre Israël et le Liban, les forces d’opposition syriennes, menées par Hay’at Tahrir al-Cham (HTS), ont lancé une offensive depuis leur bastion dans le gouvernorat d’Idlib, au nord-ouest du pays, ravivant les tensions dans la région. Ici Beyrouth vous propose un panorama des principales forces présentes actuellement en Syrie, leurs adversaires et leurs zones d’opération.
Le régime syrien et ses alliés
Le régime de Bachar el-Assad contrôle environ 60% du territoire syrien, principalement dans le centre, l’ouest et le sud du pays. Il est soutenu par la Russie, qui dispose de bases stratégiques à Hmeimim (aérienne) et Tartous (navale), ainsi que par l’Iran, dont l’appui se manifeste via des milices chiites (irakiennes, afghanes, pakistanaises) et des conseillers militaires. Ces forces s’opposent sporadiquement à des groupes rebelles et jihadistes dans des zones périphériques comme Idlib ou le désert syrien, où l’État islamique reste actif. Elles combattent aux côtés des Forces de défense nationale (FDN), un groupe paramilitaire progouvernemental.
“Les Forces armées syriennes (FAS), constituées de l'armée de terre, de l'armée de l'air et de la marine, sont les forces régulières du gouvernement syrien. Depuis le début du conflit en 2011, elles ont subi des pertes significatives et des défections, mais ont maintenu le contrôle sur une partie substantielle du territoire syrien”, explique Jean Sébastien Guillaume, expert et consultant en intelligence économique et stratégique et fondateur du cabinet Celtic Intelligence. Ses effectifs sont estimés selon lui à environ 160.000 soldats actifs.
“Sous le commandement du président Bachar al-Assad, avec des figures clés comme le général Ali Mahmoud Abbas, ministre de la Défense depuis 2022, et Maher al-Assad, frère du président syrien, les FAS contrôlent principalement le sud et l'ouest de la Syrie, y compris Damas, Homs, Hama et Lattaquié”, ajoute M. Guillaume. “Cependant, des offensives récentes des forces rebelles ont entraîné des pertes territoriales, notamment à Alep et dans certaines zones de Hama”, poursuit-il.
Sur leur équipement militaire, l’expert précise que celui-ci est “varié, comprenant des chars T-72 et T-90, des avions de combat MiG-29 et Su-24, ainsi que des systèmes de défense aérienne fournis par la Russie”.
Créées en 2013 pour suppléer les FAS, les Forces de défense nationale sont composées de milices progouvernementales recrutées localement. “En 2024, elles ne comptent plus que 30.000 combattants, opèrent sous la supervision de commandants locaux loyaux au régime, sont actives dans les zones sous contrôle gouvernemental et participent aux opérations de maintien de l'ordre et de défense territoriale”, note M. Guillaume. Elles disposent principalement, selon lui, d’armes légères et de véhicules tactiques et fournissent des renseignements.
Le Hezbollah
Le groupe chiite est intervenu en Syrie dès 2012 pour soutenir le régime d'Assad. Il est présent le long de la frontière libano-syrienne et dans certaines parties de Damas et de Homs, muni de missiles antichars de roquettes et de drones, principalement fournis par l'Iran. Or, depuis le 8 octobre 2023, la formation pro-iranienne s’est lancée dans une guerre contre Israël en soutien au Hamas à Gaza; une guerre qui a considérablement affaibli ses capacités militaires. Son commandement militaire a également été décimé par les frappes de l’armée israélienne.
Les Forces démocratiques syriennes (FDS)
Composées majoritairement de combattants kurdes, les FDS contrôlent environ 25% du territoire, principalement dans le nord-est, incluant Hasaka (centre administratif des FDS), Raqqa (ancienne capitale de Daech) et Deir Ezzor (zones très riches en pétrole).
Connues sous le nom d’Unités de protection du peuple (YPG) – une branche militaire du Parti de l'Union démocratique (PYD) –, elles sont soutenues par les États-Unis et jouent un rôle clé dans la lutte contre l’État islamique (EI). Elles maintiennent des camps de détention pour des milliers de membres présumés de l’EI et leurs familles, et font l’objet d’attaques turques et de tensions internes avec des factions locales arabes dans la région de Deir Ezzor. Leur commandant principal est Mazloum Abdi.
Selon Jean Sébastien Guillaume, le rôle actuel des FDS “consiste en un maintien de l'ordre dans les zones libérées de Daech et en la lutte contre les incursions de l'armée turque et des factions rebelles affiliées”.
Sur leur armement, M. Guillaume précise que le soutien logistique et militaire des États-Unis comprend des fusils M16 et M4, des véhicules blindés Humvee, une artillerie légère et des systèmes antiblindés comme les AT-4.
L’Armée nationale syrienne
Il s’agit des forces rebelles turques et syriennes alliées à la Turquie. Depuis 2016, Ankara a lancé plusieurs opérations militaires dans le nord de la Syrie, établissant une zone tampon sous son contrôle direct ou celui de factions locales proturques, comme l’Armée nationale syrienne (ANS). Cette zone s’étend de Jarablus à Afrine et inclut des régions à l’est de l’Euphrate.
“Formée en 2017 sous l'égide de la Turquie, l'ANS regroupe diverses factions modérées et contrôle aujourd’hui des zones dans le nord de la Syrie, notamment Afrine, Jarablus et des parties de la province d'Alep”, signale M. Gullaume. Elle mise surtout pour son armement “sur les fournitures turques, qui comprennent des fusils d’assaut, des véhicules blindés légers et de l'artillerie mobile”, déclare-t-il.
Hay’at Tahrir al-Cham
Idlib, dans le nord-ouest, est principalement contrôlé par Hay’at Tahrir al-Cham (HTS), une ancienne branche d’Al-Qaïda. Il est dirigé par un conseil consultatif (choura) et influencé par des figures religieuses et militaires. Ses affrontements avec les forces du régime et autres factions rebelles sont réguliers.
“Affilié à Al-Qaïda jusqu'en 2016, HTS (ex-Front al-Nosra) s’est déclaré indépendant pour se distancier de l’influence directe de l’organisation terroriste et gagner en légitimité auprès des populations locales et des acteurs régionaux”, souligne M. Guillaume. Son dirigeant est Abou Mohammad al-Joulani, ancien membre d’Al-Qaïda, tué le 30 novembre à Idlib. “HTS reste inscrit sur la liste des organisations terroristes du Département d'État des États-Unis et son dirigeant a vu sa tête mise à prix par les États-Unis pour 10 millions de dollars” rappelle le fondateur de Celtic Intelligence.
“Aujourd’hui, HTS contrôle Idlib, le dernier bastion rebelle majeur. Ses membres sont présents dans le nord-ouest de la Syrie, notamment dans des zones autour de Jisr al-Choughour et Khan Sheikhoun”, comme l’indique M. Guillaume. Des collisions récentes avec des factions rivales et des tentatives d’expansion vers Alep et Hama sont, selon lui, observées.
HTS est muni d’armes légères et intermédiaires, ainsi que de véhicules blindés capturés, et jouit d’une capacité limitée d’artillerie et de drones improvisés.
L’État islamique (EI)
Bien que territorialement défait depuis 2019, l’EI mène encore des attaques sporadiques depuis le désert syrien contre les forces du régime et les FDS. Ce groupe reste une menace résiduelle mais active dans des zones rurales éloignées.
Les forces internationales
Les États-Unis se trouvent en Syrie depuis 2014 dans le cadre de la coalition internationale contre Daech. Ils maintiennent des bases dans les zones sous contrôle des FDS, notamment à Al-Omar (champ pétrolier) et Al-Tanf (près des frontières jordanienne et irakienne). Ils disposent également de forces spéciales stationnées dans les zones de Deir Ezzor et Hasaka. Leur présence vise principalement à contrer l’EI et à contenir l’influence iranienne.
Si la Russie et l’Iran jouent un rôle clé en soutenant militairement le régime, la Turquie, elle, agit pour empêcher une autonomie kurde près de ses frontières.
La Turquie intervient militairement et de manière directe depuis 2016, dans le but d’empêcher la formation d’une autonomie kurde à sa frontière. “Les zones qu’elle occupe se trouvent dans le nord de la Syrie et plus particulièrement à Afrin, Jarablus et Tall el-Abiad, avec des bases militaires dans ces secteurs et une forte implication de l’armée turque”, explique M. Guillaume. Son rôle consiste en un soutien à l'Armée nationale syrienne (ANS) et en la lutte contre les FDS/YPG.
La Russie est militairement présente en Syrie depuis 2015 et joue un rôle de soutien essentiel au régime d’Assad. Ses bases militaires se trouvent à Hmeimim et à Tartous, alors que ses forces terrestres et aériennes sont déployées dans des zones sensibles comme Idlib, Alep et le désert de Badiya. “Les opérations sont dirigées par le ministère russe de la Défense, avec des commandants sur le terrain coordonnant les actions militaires via des avions de combat Su-34, des hélicoptères d'attaque Ka-52 et des systèmes de défense aérienne S-400”, indique M. Guillaume.
Dans un soutien continu au régime d'Assad depuis le début du conflit, l’Iran a “fourni un appui militaire direct et indirect au régime syrien, incluant le déploiement de conseillers militaires et l’aide de milices chiites étrangères”, affirme l’expert interrogé. Les opérations menées en Syrie sont supervisées par le Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI) et les bases iraniennes sont actuellement situées dans le sud et l'est de la Syrie, notamment à Abou Kamal (près de la frontière irakienne). Téhéran est présent aussi à Damas et dans ses alentours, et dispose d’armes légères à lourdes, y compris des missiles balistiques à courte portée.
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