Disparus et détenus en Syrie: des décennies de confusion et de bilans erronés
Exposition à Sodeco revisitant le parcours des personnes enlevées et disparues au Liban ©Élie-Joe Kamel / Ici Beyrouth

Un comité d’urgence indépendant a été mis en place par la Commission nationale pour les disparus et disparitions forcées en vue de faire la lumière sur leur sort.

Le nombre de personnes portées disparues durant la guerre civile libanaise était jusque-là estimé à 17.415. Par ailleurs, des associations estiment qu’entre 200 et 700 Libanais auraient été enlevés et détenus en Syrie au cours des trois décennies de présence militaire syrienne au Liban. Toutefois, ces chiffres sont inexacts, d’autant plus qu’ils nécessitent une réévaluation de fond, notamment à la lumière de la chute du régime syrien de Bachar el-Assad et la libération des détenus, parmi lesquels figurent des Libanais. 

Contactée par ici Beyrouth, Carmen Abou Jaoudé, experte en justice transitionnelle et membre de la Commission nationale pour les disparus et disparitions forcées, souligne qu’il s’agit “d’un dossier extrêmement complexe qui a été politiquement instrumentalisé” au cours de plusieurs décennies. Elle ajoute que “toutes les données recueillies jusque-là sont imprécises et doivent être réexaminées”, et que "la Commission nationale indépendante qui a un mandat humanitaire va pouvoir les vérifier en coopération avec la société civile et les autorités libanaises. Il faudra également attendre la clarification de la situation en syrie et la formation du nouveau gouvernement syrien.”  

Mme Abou Jaoudé explique que “le chiffre de de 17.415 disparus est basé sur le nombre de plaintes déposées durant la guerre auprès des autorités étatiques libanaises concernées par des proches à la suite de la disparition d’un membre ou plus de leur famille. Néanmoins, si un nombre de disparus étaient détenus dans les prisons syriennes, d’autres seraient peut-être déjà morts, ce qui rend difficile d’établir une estimation précise. De plus, la politisation de ce dossier l’a rendu compliqué et confus, le régime syrien ayant toujours nié la présence de détenus politiques libanais dans ses geôles. Par ailleurs, les organisations des droits de l’homme libanaises et internationales dont le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) estiment le nombre de disparitions documentées entre 5.000 et 8.000.”

Il convient de rappeler que la Commission nationale pour les disparus et disparitions forcées, une autorité indépendante chargée de suivre ce dossier, a été créée en 2020 à la suite de l’adoption de la loi 105 sur les disparus en 2018. Celle-ci reconnaît le droit à l'information pour les familles et prévoit la création d’une commission d'enquête. Cette loi est le fruit d’un long travail, entamé à la fin des années 1990, mené, entre autres, par le Comité des familles des kidnappés et disparus au Liban ainsi que des organisations dde la société civile au Liban. 

Le Comité des familles des kidnappés et disparus est une ONG fondée en 1982 par Mme Wadad Halawani et des proches de personnes enlevées et disparues pendant la guerre libanaise. Il est présidé par Mme Halawani, dont le mari a été porté disparu en 1982. Depuis, elle est le fer de lance de cette cause, militant inlassablement pour que toute la vérité soit révélée sur le sort des disparus.

Lors d'une conférence de presse à Beyrouth le samedi 7 décembre, Mme Halawani a indiqué que la nouvelle de la libération de détenus en Syrie avait suscité un sentiment d'optimisme prudent parmi les familles, certaines nourrissant l'espoir d'obtenir enfin des nouvelles de leurs proches. Elle a exhorté les autorités à agir rapidement pour vérifier l’identité des détenus libérés et fournir des réponses à ceux qui les ont cherchés en vain pendant des années. “Nous avons besoin que l'État libanais prenne des mesures maintenant”, a-t-elle déclaré, appelant toute personne disposant d’informations à contacter le comité ou la Commission nationale pour les disparus et disparitions forcées. Parmi les “cas confirmés”, elle a mentionné celui de Ali Hassan el-Ali, arrêté à un poste de contrôle syrien dans le nord du Liban à l'âge de 18 ans et libéré samedi soir de la prison de Hama.

“En droit international humanitaire, le concept de 'disparu' englobe toutes les personnes disparues durant un conflit armé. Tandis que les 'disparitions forcées' désignent les personnes enlevées ou kidnappées par un État ou des groupes non étatiques”, explique Mme Abou Jaoudé. Elle ajoute que “les détenus en Syrie étaient jusque-là considérés comme des 'disparitions forcées', tant que leur sort était inconnu”. Toutefois, elle souligne que “maintenant, les choses vont être clarifiées. On va savoir qui était en prison et qui est encore disparu, car, par exemple, certaines personnes ont été tuées sous la torture ou enterrées dans des fosses communes au Liban ou en Syrie”.

La Commission nationale a pour mission de clarifier le sort de tous les disparus sans distinction, de procéder à l’exhumation des fosses communes, d’identifier les dépouilles et de les rendre à leurs familles. C’est un long processus qui demande beaucoup de moyens et d’expertises”.

Dans un communiqué de presse publié le vendredi 6 décembre, la Commission nationale pour les disparus et disparitions forcées a indiqué qu’elle “est en contact avec les autorités et les agences officielles, ainsi qu’avec les organisations locales et internationales concernées, dans le but d’obtenir toutes les informations disponibles sur la libération des disparus libanais et résidents au Liban des prisons syriennes, ainsi que sur le sort des disparus et des personnes enlevées en Syrie”.  Elle a ainsi demandé à “toutes les personnes et entités, y compris les organisations de la société civile, de lui fournir les informations dont elles disposent et de collaborer avec elle dans la recherche des disparus ou des personnes enlevées”.

La Commission a également recommandé “aux familles des disparus et des personnes enlevées, à leurs proches, ainsi qu’aux associations et organisations actives dans ce domaine, qui estiment que leurs proches se trouvent en Syrie et pourraient faire partie des personnes libérées des prisons syriennes, de la contacter pour fournir les informations et données en leur possession, afin de faciliter son travail”.

Elle a affirmé qu’elle procéderait “à la conservation, à l’analyse et au traitement de ces données de manière exclusive et conformément à la mission humanitaire qui lui a été confiée par la loi 105/2018”.

La Commission tiendra une conférence de presse bientôt pour préciser la procédure qu'elle suivra dans les prochaines étapes de son travail.

 

 

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