Le 14 mars 2005, une révolution populaire éclatait au Liban, un mois jour pour jour après l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri. Tandis que les accusations s’orientaient immédiatement vers le Hezbollah et, par transitivité, vers la Syrie, une marée humaine envahissait les rues de Beyrouth et d’autres villes du Liban pour réclamer le retrait des troupes syriennes, mettant bientôt fin à une occupation qui durait depuis près de trois décennies.
L’occupation syrienne au Liban a débuté en 1976, un an après le début de la guerre civile libanaise. Les forces de Damas, initialement introduites comme une composante des Forces arabes de dissuasion, ont ensuite ancré leur présence au pays du Cèdre. L’accord de Taëf, signé le 22 octobre 1989, légitimait cette occupation sous prétexte de mettre un terme à la guerre civile. Pendant près de 15 ans, plus de 14.000 soldats syriens et des milliers d’agents de renseignement du régime d’Assad ont imposé leur mainmise sur le pays.
Cette présence a instauré au Liban un système de corruption endémique, orchestré par le régime syrien et facilité par des complices libanais. Une structure financière clandestine a émergé, reliant Damas à Anjar et s’étendant à travers le pays. Les institutions libanaises étaient contraintes de payer des tributs mensuels aux officiers syriens, au nombre d’environ 5.000, répartis dans 140 centres et administrations. Un réseau qui a vidé le Liban de ses ressources économiques, tout en institutionnalisant la corruption dans tous les domaines de la vie publique.
2 milliards par an
Les chiffres sont accablants. Après l’accord de Taëf, le régime syrien aurait ainsi détourné environ 2 milliards de dollars par an du Liban, enrichissant les dirigeants syriens et leurs alliés libanais. Des fonds qui provenaient, entre autres, des recettes de l’électricité et du piratage des communications téléphoniques via deux entreprises contrôlées par la Syrie.
Des dizaines de millions de dollars provenant des recettes téléphoniques étaient transférés chaque mois du Liban au régime syrien, en plus des tributs imposés par ses officiers sur l'importation de carburants et des entreprises qui en avaient la charge. À cela s'ajoutait le partage des revenus du Casino du Liban entre les proches du régime d'Assad, ainsi que l'imposition de tributs exorbitants sur les projets d’autoroutes, systématiquement attribués à des entrepreneurs lui étant affiliés.
On se souvient également du cas de la compagnie aérienne Middle East Airlines, qui illustre bien cette ingérence. Son nombre d’employés était alors monté jusqu’à 4.000 pour une flotte de 9 avions seulement, en raison des recrutements politiques imposés par les alliés syriens. Ce n’est qu’en 2001 que la compagnie a pu licencier une partie de son personnel et redresser ses finances.
Les cas des propriétés fictives, les tributs dans le port de Beyrouth, ou l’aéroport international Rafic Hariri, ainsi que l’inondation du marché libanais de produits syriens bon marché exempts de droits de douane, sont autant d’exemples du pillage systématique orchestré par Damas.
Dans un autre registre, il est révélé dans les mémoires de Abdel Halim Khaddam, ancien vice-président syrien qui démissionna en 2005, que le cercle proche de la présidence syrienne a volé plus de 20 milliards de dollars au Liban.
Par ailleurs, selon un rapport diplomatique français secret daté du 16 mars 2005 et divulgué après le départ de l’armée syrienne du Liban, les officiers des services de renseignement de Damas et leurs associés ont retiré près de 400 millions de dollars de certaines banques libanaises avant de quitter le pays après l’assassinat de Hariri.
Ces fonds provenaient des tributs imposés, des détournements dans les projets d'infrastructures libanaises, du trafic d’armes et de drogue, des opérations commerciales avec le régime de Saddam Hussein et du commerce illégal de pétrole. Sans oublier l'affaire de la Banque Al-Madina qui est aussi emblématique: les sommes détournées étaient estimées entre 800 millions et 1 milliard de dollars, dont une grande part revenait aux hommes du régime Assad.
Réparations
Ces détournements soulèvent une question essentielle: le Liban ne devrait-il pas préparer des dossiers pour réclamer des réparations de la Syrie pour ces décennies de pillage?
En mai 1991, après la guerre civile, les présidents syrien Hafez el-Assad et libanais Élias Hraoui ont signé un “Traité de fraternité, de coopération et de coordination”, instituant plusieurs accords et protocoles entre le Liban et la Syrie, dont le Conseil supérieur syro-libanais.
Cependant, l’établissement de relations diplomatiques entre les deux pays en 2008 et l’ouverture d’ambassades ont remis en question la pertinence de ce Conseil. Créé pendant l’occupation syrienne, il reste le symbole d’une époque sombre, tout en constituant un gouffre financier. Son budget, qui atteignait 900 millions de livres libanaises (environ 600.000 dollars) avant la crise économique, demeure aujourd’hui un poids inutile.
Dans le projet de budget 2012, selon les données figurant au chapitre 3 de la section relative à la présidence du Conseil des ministres, la dotation allouée au Conseil s’élevait à 850 millions de livres libanaises, soit environ 550.000 dollars.
Selon le cabinet de conseil Information International, son budget est resté stable à 885 millions de livres libanaises en 2015, 2016 et 2017. En 2018, il a baissé jusqu’à 708 millions de livres, avant de remonter à 796,5 millions en 2019, puis de redescendre à 716,85 millions en 2020, ainsi que dans le projet de budget 2021.
Toujours selon Information International, le Conseil emploie 22 personnes, censées être réparties à parts égales entre Libanais et Syriens. Mais dans les faits, le nombre d’employés syriens y est supérieur.
Aujourd’hui, sans rôle concret depuis la chute du régime Assad, l’abolition de ce Conseil est devenue une nécessité.
Celui-ci a longtemps été au cœur de controverses dans les milieux politiques libanais opposés à la domination syrienne sur tous les aspects politiques, économiques et sécuritaires du Liban.
Désormais, son maintien constitue un fardeau politique et financier pour un État libanais déjà accablé par une lourde crise économique.
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