Le Liban fait face à des changements de grande envergure qui remettent en question des enjeux géostratégiques, politiques et institutionnels. Enjeux rendus inévitables avec les mutations militaires et politiques qui ont succédé à la destruction par Israël des plateformes opérationnelles de l’Iran et au changement induit des dynamiques sur l’ensemble du Proche-Orient. Nous sommes devant de nouvelles donnes qui infléchissent le cours des politiques régionales et de leurs modulations internes, nommément au Liban et en Syrie.
Le Liban, pour sa part, bute sur des impasses qui empêchent jusque-là d’aborder de manière frontale les questions sécuritaires et institutionnelles qui font obstacle à la normalisation du pays et permettent d’organiser une transition délibérément bloquée. Alors que la Syrie, à la suite de la défaite du régime d’Assad, est à la recherche d’une solution d’ensemble, d’une transition pacifique et démocratique et de valider les épreuves d’accréditation du régime islamiste. Cela dit, les dynamiques internes sont sujettes à des modifications imposées par les politiques de puissance turque et iranienne.
Au Liban, la communauté chiite, en dépit et malgré les conséquences désastreuses du militantisme, a du mal à se démarquer de cet héritage pour des raisons idéologiques, stratégiques et d’intérêts mafieux. La conjonction de ces trois variables explique la nature des verrouillages qui bloquent tout changement éventuel. L’empreinte psychologique faite de déni, de paranoïa, de revanche et de délire rend compte de la politique obstructionniste et de la volonté de contournement qui définit leur attitude politique à l’heure actuelle. Ils se refusent à toute posture de réciprocité morale et d’échanges en vue d’ouvrir la voie à des compromis en matière de politique intérieure et de sécurité nationale. Cela explique la politique de louvoiement vis-à-vis de la trêve et de ses stipulations qui nous renvoie à une ambivalence foncière dûment exprimée par Naim Kassem. Celui-ci ne cesse, en effet, de marteler l’argument galvaudé de la résistance et celui du caractère intérimaire de la trêve.
Alors comment aborder la question des élections présidentielles en l’absence d’une volonté minimale de normalisation politique et de stabilisation? Mis à part les ambiguïtés qu’elle répercute, cette attitude met en relief les difficultés de positionnement d’une communauté qui a du mal à se départir d’un endoctrinement de quatre décennies et à se défaire des illusions d’une stratégie de domination qui se défait. Le pari sur des retournements majeurs demeure, et la volonté de reconquérir par la politique ce qui a été perdu sur les champs de bataille perpétue cet état de cécité.
Le contexte syrien, à la différence du contexte libanais, s’est d’ores et déjà libéré de l'hypothèque iranienne et du régime Assad qui lui est tributaire. Il se démarque ainsi ostensiblement de la mouvance terroriste et cherche à se définir à partir d’une stratégie de reconstruction nationale, de justice de transition, de normalisation sur la scène internationale et de réformes systémiques. Les déclarations recensées d’Ahmad al-Chare’h sont loin d’être ambiguës, même si les obstacles sur le terrain refont surface et ne peuvent être minimisés. La récalcitrance idéologique des islamistes, l’incidence des politiques de puissance, nommément turque et qatarie, et les aléas de la transition sont autant d’obstacles dont il ne faudrait pas minimiser l’impact.
La mise en place des institutions, la définition de leurs registres normatifs et juridiques, la mise en œuvre des injonctions de la souveraineté territoriale dans un contexte aussi délabré qui hérite non seulement d’une guerre civile brutale aux effets dévastateurs, mais également d’un régime de sauvagerie institutionnalisée vieux de cinquante ans et de sa réplique représentée par l’État islamique. THC est étroitement liée à la figure tutélaire d’Ahmad al-Chare’h et à ses choix idéologiques et politiques qui dénotent des mutations intellectuelles et politiques remarquables. La rupture marquée par rapport à un passé récent ne relève pas de la manœuvre de circonstances. En effet, elle correspond à un cheminement clair, discernable dans les propos et dans la gestion de la phase préliminaire de la prise de pouvoir.
L’option institutionnelle, la normalisation immédiate du climat social et politique, l’amorce du dialogue avec les mouvements jihadistes en vue de dissoudre les formations paramilitaires au profit de la nouvelle armée nationale sont à même de susciter des adhésions progressives dans un pays où l’aspiration à la paix et à la normalisation transcende les délires idéologiques et leurs effets de sédimentation. Sinon, l’approche du pluralisme communautaire et ethno-national évoquée par A. al-Chare’h opte résolument pour le dialogue et les règlements négociés et la fin des extraterritorialités. La communauté internationale s’est laissé interpeller par la démarche innovante et ses effets réparateurs sur les plans domestiques et internationaux.
La restructuration de l'armée sur une base partisane qui reconduit des jihadistes syriens et non syriens à des postes de commande est de mauvais augure. Cette tendance atteste l'incohérence de cette mouvance et son degré d'instrumentation par les politiques de puissance régionales. Le retour insidieux du jihadisme finira par discréditer le mouvement et invalider les thèses qu'il prétend défendre. Sinon, la traque des tortionnaires du régime et ses sbires devrait être strictement contrôlée pour ne pas redonner de l'élan à la sauvagerie qui hante ce pays depuis des décennies. Les défis sont de taille, les déclarations d’intention sont de toute importance et l’avenir peut s’avérer prometteur, mais tout reste à faire.
La fin du long intermède impérial est laborieuse et le régime iranien est loin de se prêter au dialogue politique à l'intérieur et aux tractations diplomatiques sans arrière-pensées et volonté de sabotage concomitante à l’extérieur. La politique néo-ottomane d’Erdogan va s’emparer du putsch syrien pour mettre à l’épreuve sa version moderne des domaines impériaux tant en Syrie qu’au Liban. Les irrédentismes sont multiples et les épreuves de force ne manqueront pas. Selon toute espérance, Erdogan a tout intérêt à ne pas subvertir les régimes de territorialité et reconduire les dérives de l’impérialisme iranien et l’instabilité qui lui est coextensive. Dans sa dernière déclaration, il cherche à se démarquer de la politique de puissance iranienne et de ses effets dévastateurs.
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