L’adieu aux armes
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L’adieu aux armes, telle est la condition indispensable pour qu’une vie politique normale reprenne au Liban, qu'un nouveau président soit élu ou pas, le 9 janvier.

Le Hezbollah doit se réinventer et renoncer à toute autonomie militaire. Après tout ce qui s’est passé, un retour au statu quo ante est en effet hors de question et le président de la Chambre doit s’en faire une raison.

Le prochain président de la République devrait le dire haut et fort: ce que le Hezbollah a fait au Liban ne doit en aucun cas pouvoir se reproduire. Pour cela, il est indispensable de priver ce groupe de toute autonomie militaire, conformément à la résolution 1701 de l’ONU et à l’accord de Taëf. De fait, rien n’autorisait le parti pro-iranien d’user du Liban comme d’un “front”. Dans un État, un vrai, il n’aurait aucun droit de le faire. 

Cela dit, ceux qui ont lu le livre écrit par Naïm Qassem, actuel secrétaire général du Hezbollah, sur cette formation, savent combien il sera difficile de réformer une idéologie guerrière étroitement liée à des croyances eschatologiques aléatoires qu’il serait trop long de détailler. Du reste, le Hezbollah n’a jamais caché qu’il était porteur non seulement d’un programme politique, mais d’un projet de société qu’il s’est gardé d’évoquer par la suite.

Pour saisir l’incompatibilité du Hezbollah “tel quel” avec la démocratie parlementaire libanaise, relevons qu’à son article 11, la Constitution iranienne – à laquelle souscrit ce groupe – dispose que “tous les musulmans forment une nation et le gouvernement de la République islamique doit établir sa politique sur la base de l’alliance et de l’unité des nations islamiques. Il doit constamment s’efforcer de réaliser l’unité politique, économique et culturelle du monde islamique”.

De toute évidence, dans une telle entité transnationale, le Liban disparaîtrait pour n’être plus qu’une “province”. On retrouve ici le cas du Parti syrien national social (PSNS), un allié du président syrien déchu, Bachar el-Assad, dont le rêve anachronique prévoit la dissolution du Liban dans une grande Syrie.

Autre exemple: comme dans toute démocratie parlementaire, le régime politique au Liban repose sur le principe fondamental de la séparation des pouvoirs. Or ce principe n’a aucune place dans le système du Wilayat el-Fakih auquel le Hezbollah a prêté allégeance. En effet, l’article 57 de la Constitution iranienne place les pouvoirs judiciaire, législatif et exécutif “sous l’autorité absolue du Guide suprême”.

Des efforts suspects ont été déployés pour cacher cette réalité au début des années 90. Ainsi, l’accord de Taëf parle du principe de “la séparation des pouvoirs” auquel a été cependant ajoutée la mention: “leur équilibre et leur coopération” (Préambule E). Deux précisions inutiles dont la seule fin aurait été d’affaiblir l’indépendance du pouvoir judiciaire et de l’exposer aux ingérences des deux autres pouvoirs. C’est exactement ce qu’a pratiqué le Hezbollah triomphant, devenu substitut d’État. On espère que ces temps sont révolus pour toujours.

Fort heureusement, le projet du Hezbollah ne fait pas l’unanimité au sein de la communauté chiite. Il est, en particulier, en porte-à-faux avec l’orientation libanaise défendue par l’imam Mohammad Mehdi Chamseddine (1936-2001), longtemps président du Conseil supérieur chiite.  

Personnalité politique et religieuse de premier plan, Mohammad Mehdi Chamseddine a exhorté sa communauté à ne pas s’engager sur la voie du projet chiite transnational du Hezbollah, mais à lutter dans le cadre de leur société respective, afin de défendre ses droits légitimes.

Aujourd’hui, l’ayatollah Sistani en Irak, référence suprême pour les chiites du monde arabe, ainsi que nombre de dignitaires chiites en Iran même, défendent la même orientation.

La cause du Liban

L’une des premières motivations qui permettront au Hezbollah de se réinventer sera sa prise de conscience de l’extraordinaire importance de la “cause” du Liban, par rapport à toutes les autres causes du Moyen-Orient. Cette cause, qui a le potentiel de conditionner toutes les réalités régionales, est celle de la primauté de l’esprit sur la lettre des commandements religieux, l’un des premiers “lieux théologiques” du dialogue interreligieux. C’est grâce à cette primauté que le Liban est le cœur battant de l’Orient arabe, comme l’affirme son hymne national. Et cette richesse lui vient de ses racines chrétiennes, qui lui permettent d’accueillir la modernité, tout en se gardant de toute rupture entre foi et raison. Pour une religion qui, selon le philosophe chrétien Paul Valadier, souffre d’une “relation tourmentée entre révélation et raison, peu favorable à une lecture critique de ses propres sources et traditions” (Lueurs dans l’histoire – Salvator), le Liban est un environnement académique de première importance.

La primauté de l’esprit devrait se manifester en particulier dans la transition de l’appartenance confessionnelle vers l’appartenance citoyenne (avis au nouveau pouvoir en Syrie).

Défendue par la Déclaration conjointe sur la fraternité humaine signée à Abou Dhabi entre le pape et l’imam Ahmad el-Tayeb, recteur d’Al-Azhar (février 2019), cette transition à laquelle l’islam libanais, jordanien et égyptien est acquis, a vocation de mettre fin, une fois pour toutes, à l'extrémisme et à la division des peuples en croyants et dhimmis. L’application de l’accord de Taëf et la levée des résistances au mariage civil, verrou central de cette résistance au changement, devraient constituer des jalons dans ce processus fondamental.

Si, enfin, le Liban doit avoir, à nos yeux, la primauté sur le reste du monde arabe, c’est aussi parce qu’il est conscient que sa superficie géographique le met à l’abri des rêves d’empire qui tentent certains. En raison même de ces limites, il use plus librement que quiconque des outils conceptuels capables d’inspirer des solutions durables et pacifiques à toutes les causes du monde arabe, à commencer par celle de Jérusalem. Mais cela, à condition que la raison et le dialogue ne soient pas bannis des relations internationales et que le Liban reste fidèle à la vocation historique que lui ont assignée d’abord sa situation géographique au point de contact névralgique de la Méditerranée et de l'hinterland arabe, ensuite les racines religieuses de son identité nationale, enfin son socle pluraliste.

 

 

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