Travail d’Hercule pour le nouveau président
Des membres du personnel préparent la salle plénière du Parlement et installent une urne, à la veille de la session parlementaire destinée à élire un président, à Beyrouth, le 8 janvier 2025. ©ANWAR AMRO / AFP

C’est l’heure de vérité. L‘heure des grands choix. Du grand tournant. Quels que soient le cours et l’issue du scrutin de ce 9 janvier, l’élection du 14e président du Liban indépendant devrait permettre au pays du Cèdre de bénéficier de l’opportunité historique qui s’offre aujourd’hui à lui de se tailler une place de choix, celle qui correspond à sa vocation, dans le nouvel ordre régional qui semble résolument émerger et poindre à l’horizon.

D’emblée, le nouveau chef de l’État devra prendre le taureau par les cornes et mettre à profit sans tarder le momentum créé par le bouleversement du rapport de forces qui se met en place au Moyen-Orient. Des chantiers titanesques attendent, à l’évidence, le nouveau régime après les deux années (un peu plus de vingt-six mois) de vacance présidentielle.

Certes, conformément aux termes de la Constitution, le pouvoir exécutif est détenu depuis Taëf par le Conseil des ministres. Il reste qu’il est indéniable que le président de la République est en mesure d’être le moteur du régime. De par sa stature et son envergure politique, il peut, et il devrait, insuffler un vent nouveau au niveau des grandes orientations du pouvoir en gestation.

Un postulat devra être défini dès le départ car de ce postulat dépendra la ligne directrice du sexennat: le président se contentera-t-il de gérer uniquement la crise et donc de composer avec ceux qui ne cachent pas leur volonté de poursuivre leur stratégie de déstabilisation et de déconstruction qui a miné l’État et les fondements de la République? Ou, au contraire, fera-t-il le choix de stopper net cette stratégie démoniaque en veillant à ce que le pays soit en phase avec le nouvel ordre régional, de manière à rétablir la coopération étroite avec les pays arabes, notamment les États du Golfe, et la communauté internationale?

Une très large majorité de Libanais attend indéniablement du nouveau président qu’il opte clairement pour le second cas de figure. Mais pour relever les grands défis auxquels il sera confronté et afin de neutraliser ceux qui n’ont cessé depuis des décennies de démontrer leurs capacités de nuisance, le président doit pouvoir bénéficier d’un appui ferme de la population, des principales forces politiques du pays et de la communauté internationale. C’est fort d’un tel soutien multiple qu’il pourra alors s’attaquer aux grands chantiers qui l’attendent.

Premier obstacle à franchir: la désignation du chef du gouvernement et la mise sur pied d’une équipe ministérielle qui soit réellement à la hauteur de la situation tant sur le plan local que régional. Cette étape est, certes, tributaire de la position des blocs parlementaires, mais les formations et personnalités de la mouvance souverainiste, opposées à la ligne de conduite du Hezbollah, devraient peser de tout leur poids dans la balance afin que le nouveau président puisse œuvrer en harmonie avec un pouvoir exécutif déterminé à engager le pays sur la voie du salut et du redressement.

Cette étape relative à la formation du gouvernement est vitale pour l’action que le chef de l’État est appelé à mener à brève échéance. La répartition des portefeuilles régaliens est, à n’en point douter, primordiale, mais la physionomie du Cabinet le sera encore plus car elle conditionnera un autre volet non moins délicat: les nominations aux postes névralgiques de première catégorie.

Pour que le régime puisse entamer son travail d’Hercule, il doit pouvoir désigner sans tarder ses hommes de confiance à des postes aussi sensibles que le commandement de l’armée, la direction de la Sûreté générale, la direction des Renseignements de l’armée, la direction de la Sécurité de l’État, le gouvernorat de la Banque du Liban, sans compter le redressement au niveau des hautes charges du pouvoir judiciaire… Autant de fonctions qui ne peuvent plus faire l’objet d’un marchandage politicien et d’un partage de gâteau à caractère clientéliste car leur pourvoi de façon adéquate doit permettre au président de s’attaquer rapidement à un dossier d’une brûlante actualité: l’application intégrale, loin de toute manœuvre dilatoire et interprétation farfelue, de l’accord de cessez-le-feu du 27 novembre.

Le document qui a “suspendu” le conflit armé déclenché par le Hezbollah le 8 octobre 2023 prévoit, sans équivoque, le désarmement de la formation pro-iranienne sur tout le territoire libanais, et non pas seulement au sud du Litani, ainsi que le contrôle strict de toutes les frontières afin d’empêcher la contrebande d’armes et de munitions à destination de milices locales, et l’interdiction de la production de tout type d’armement dans le pays. La stricte application des résolutions onusiennes sur ce plan constituera sans contexte le chantier le plus dangereux auquel devra s’atteler le chef de l’État, sous le contrôle strict de la communauté internationale, pour permettre au Liban de passer de la phase du diktat du mini-État milicien transnational à celle de l’édification d’un État central rassembleur et réellement souverain.

Cette étape militaro-sécuritaire franchie, le régime devra plancher sur un autre dossier tout aussi urgent: le redressement économique et financier, et le règlement de la crise aigüe à laquelle est confronté le secteur bancaire de manière à préserver les dépôts sans saborder pour autant les établissements de crédit existants. Ce chantier socio-financier impliquera nécessairement une incontournable lutte contre la corruption généralisée et la dilapidation des fonds publics, et surtout la refonte de l’administration publique qui ploie sous un surplus de fonctionnaires oisifs et improductifs. 

Le traitement du marasme socio-économique qui sévit depuis 2019, au moins, devra être accompagné d’un autre chantier qui devra constituer, d’une manière concomitante, l’une des priorités du président: la reconstruction des villages totalement détruits et dévastés au cours de la guerre lancée par le Hezbollah contre Israël, ainsi que le retour de tous les déplacés dans leurs localités d’origine. Le financement de cette vaste opération nécessitera, comme passage obligé, l’assainissement et le renforcement des relations du Liban avec les États du Golfe et les grands décideurs internationaux, États-Unis et Union européenne en tête.

Les séismes successifs qui ont frappé en quelques mois les territoires palestiniens, le Liban-Sud et la Syrie, et qui risquent de s’étendre encore à d’autres zones de cette partie du monde, ont placé le Liban et la région véritablement à la croisée des chemins. L’élection d’un président de la République réellement soucieux de la chose publique, ayant foi dans les institutions de l’État et conscient des enjeux qui se jouent à l’échelle moyen-orientale, pave la voie à une opportunité inespérée de redressement et de salut. Aux forces vives locales d’être donc à la hauteur de leurs responsabilités nationales et de savoir, pour une fois, saisir la balle au vol.

 

 

     

              

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