La réouverture de l’ambassade des Émirats arabes unis (EAU) à Beyrouth, après deux années d’absence, marque un événement clé dans les relations diplomatiques entre les deux pays. Ce geste symbolique et stratégique, salué par le gouvernement libanais, annonce une nouvelle ère de coopération et de dialogue entre les Émirats et le Liban. Quels sont les tenants et aboutissants de cette réouverture, et quel en sera l’impact sur les Libanais et sur la position régionale du pays du Cèdre?
Nous sommes en octobre 2021 lorsque les EAU, l’Arabie saoudite, le Koweït et Bahreïn prennent des mesures de rétorsion et annoncent la fermeture de leurs ambassades, après les propos controversés tenus par l’ancien ministre de l’Information, Georges Cordahi. Ce dernier s’était alors prononcé sur l’intervention de l’Arabie saoudite dans la guerre au Yémen, critiquant cette ingérence. Déclenché en 2014, le conflit militaire opposait le pouvoir, soutenu par une coalition militaire dirigée par Riyad, aux rebelles, principalement appuyés par l’Iran.
Le discours de M. Cordahi, qui lui a coûté sa démission du gouvernement, n’a pas été sans répercussions majeures sur le paysage libano-arabe. À cela, s’est ajouté un mécontentement arabe provoqué par la montée de l’influence du Hezbollah et de l’Iran au Liban. Ainsi, outre la suspension des relations diplomatiques, ce sont de nombreux Libanais qui se sont vu empêchés de se rendre en territoire émirati, la délivrance de visas d’entrée aux EAU ayant été soumise à des restrictions.
Aujourd’hui, après l’élection du général Joseph Aoun à la tête de l’État après plus de deux ans de vacance, l’on assiste à une évolution positive de la situation. Non seulement le commandant en chef de l’armée bénéficie d’un appui régional et international important, mais de plus, les efforts de réconciliation régionale menés le Liban, en la personne de son Premier ministre sortant, Najib Mikati, ont conduit à un apaisement des relations. Par ailleurs, la nécessité pour les Émirats de renforcer leur présence diplomatique et économique dans un contexte annonciateur de stabilité relative a incité Abu Dhabi à rétablir des liens officiels avec le pays.
Sur les facteurs qui justifient le timing d’une restauration des relations diplomatiques, le politologue et spécialiste du Moyen-Orient et du Golfe, Karim Sader, explique qu’ “avec la nouvelle donne politique au Liban, qui s’est traduite par un affaiblissement du Hezbollah dans le cadre de la guerre contre Israël, par le quasi-anéantissement de la mainmise iranienne et par l’élection d’un nouveau président, un retour des pays du Golfe à Beyrouth était inévitable”.
“L’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, qui avaient pris leurs distances par rapport au Liban, tendent aujourd’hui leur main à cette nation qui est en pleine reconstruction et en pleine reconfiguration politique”, souligne-t-il.
D’autre part, et toujours selon M. Sader, “la fin du régime de l’ancien président syrien Bachar al-Assad a précipité les événements, mettant fin au dispositif iranien au Moyen-Orient et provoquant une montée en force de deux acteurs clés, à savoir le Qatar et la Turquie, sponsors des Frères musulmans qui dominent actuellement la scène syrienne”.
Il précise que “face à l’ascension des deux rivaux (le Qatar et la Turquie) des EAU et de l’Arabie saoudite et devant le risque de voir cette autorité se propager au Liban, les EAU ont dû cesser leur politique de dos tourné au Liban et s’impliquer davantage sur ce terrain, comme l’a fait l’Arabie avant eux”.
Il rappelle à cet égard le comeback de Riyad qui a directement appuyé la candidature à la présidence du commandant en chef de l’armée, Joseph Aoun, et qui s’est montré prêt à soutenir le Liban dans ses projets de reconstruction. “Se plaçant dans un rapport de compétition avec l’Arabie, Abou Dhabi n’a eu d’autre solution que de repositionner ses pions et récupérer sa part de marché à Beyrouth”, indique M. Sader.
Un autre élément s’ajoute à ces facteurs temporels, celui de la recomposition de la scène politique sunnite, “jadis éparpillée en raison, d’une part, de la domination du Hezbollah et, d’autre part, de la chute de l’empire Hariri”, comme l’affirme le politologue. “À cette reconstitution aspirent à participer les acteurs sunnites de la région”, signale-t-il.
Ainsi, la réouverture de l’ambassade témoigne-t-elle de la volonté des Émirats de soutenir un Liban en pleine crise économique, de s’y réengager diplomatiquement et de procéder au soutien des réformes nécessaires pour la stabilisation de la nation.
Un tournant dans les relations diplomatiques et économiques
La relance diplomatique émiratie ouvre la voie à une nouvelle dynamique de coopération sur plusieurs fronts: politique, économique et culturel. Pour les Libanais, ce retour des Émirats est porteur d’un message clair: malgré les crises internes, le Liban reste un partenaire important pour les pays du Golfe, et il peut espérer retrouver une place dans la région, à condition de mener des réformes substantielles. Quelles actions concrètes pour renforcer cette coopération?
Pour relancer les relations bilatérales, un renforcement des échanges commerciaux et économiques figure en tête de liste. Les Émirats sont un partenaire clé pour le Liban, particulièrement dans les secteurs de la construction, du tourisme et des technologies. Selon les experts, des initiatives visant à promouvoir des investissements dans ces domaines pourraient voir le jour dans les mois à venir.
L’ambassade prévoit également de faciliter les interactions culturelles et éducatives, avec des programmes d’échanges et de bourses pour les étudiants libanais, ainsi que des collaborations dans le secteur artistique et culturel. Ces actions concrètes devraient non seulement renforcer les liens entre les deux peuples, mais aussi offrir des opportunités aux jeunes Libanais désireux d’explorer de nouveaux horizons professionnels et académiques. Cela pourrait également inclure des facilités pour les entreprises libanaises souhaitant s’implanter aux Émirats, ainsi que des partenariats dans le domaine de la technologie et de l’innovation.
L’impact de la réouverture sur la délivrance des visas
L’une des questions qui préoccupent particulièrement les Libanais concerne l’impact de cette réouverture sur les restrictions de visas. Depuis l’incident de 2021, l’octroi de visas pour les citoyens libanais avait été strictement limité.
Toutefois, avec l’assouplissement des relations, “on peut s’attendre à un certain allègement de ces mesures”, rassure M. Sader. Les autorités des Émirats pourraient envisager une révision de leurs politiques migratoires, en particulier pour les étudiants, les travailleurs qualifiés et les hommes d’affaires libanais.
De fait, la réouverture de l’ambassade des Émirats arabes unis au Liban ne constitue pas seulement un acte diplomatique, elle représente un tournant majeur dans les relations entre les deux pays. Elle ouvre la voie à des opportunités économiques, culturelles et diplomatiques, et pourrait jouer un rôle crucial dans la reconstruction du Liban après une crise prolongée. Pour les Libanais, ce geste est porteur d’espoir, symbolisant un rapprochement avec le monde arabe et un retour de la stabilité, tant sur le plan économique que diplomatique.
Commentaires