Contentieux avec l'Iran: les questions qui fâchent
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Il n’y a de pire sourd que celui qui ne veut pas entendre; et l’on pourrait extrapoler en ajoutant qu’il n’y a de pire aveugle que celui qui ne veut pas voir… Des dictons qui paraissent s’appliquer largement aux “tireurs de ficelle” aussi bien à Téhéran que dans la banlieue sud de Beyrouth. Et ce, plus particulièrement après les vastes bouleversements géopolitiques qui ont profondément ébranlé ces derniers mois l’ensemble du Moyen-Orient.

Depuis le déclenchement de la guerre libanaise en avril 1975, les Libanais ont vécu au rythme des formules récurrentes souvent rapportées par la presse locale dans ses titres: “Début de semaine décisive”, “les prochains jours sont cruciaux”…

Sauf que cette fois-ci, la semaine qui s’annonce en ce lundi 20 janvier est réellement cruciale, entre l’entrée en fonction du président Donald Trump, l’avancement (et l’aboutissement?) des tractations pour la mise sur pied du premier gouvernement du mandat Aoun et, surtout, l’expiration dimanche prochain du délai fixé pour l’application des clauses de l’accord de cessez-le-feu conclu le 27 novembre dernier avec Israël. Sans compter l’impact que pourrait avoir l’entrée en vigueur de la trêve tant attendue à Gaza.

C’est dire que les échéances se bousculent en peu de temps et, à l’aune de l’émergence d’un nouvel ordre régional et d’une donne internationale qui pourrait réserver bien de surprises, plusieurs questions fondamentales se posent à ce stade. Le camp iranien a-t-il enfin admis, même contre son gré, que le Liban – à l’instar d’ailleurs d’autres pays arabes – n’est pas sa propriété privée dont il peut disposer à sa guise, en faisant fi, sans scrupules, du bien-être de la population locale? Et comme corolaire incontournable, le Hezbollah – bras armé des Pasdaran au Liban et dans cette partie du monde arabe – est-il capable d’admettre et d’assimiler que les infrastructures étatiques, et le pays dans sa globalité, ne sont pas sa chasse gardée intouchable? Rien n’est moins sûr…

Des questions qui fâchent, sans doute, mais qui en entraînent bien d’autres, bien plus graves encore. Lors de la “Conférence internationale de soutien à la population et à la souveraineté du Liban” qui s’était tenue à Paris le 24 octobre 2024 à l’initiative de la France, le président français, Emmanuel Macron, avait “regretté amèrement”, dans son allocution, que “l’Iran ait engagé le Hezbollah contre Israël, alors que l’intérêt supérieur du Liban commandait qu’il se tienne à l’écart de la guerre de Gaza”. Dans une autre déclaration, en marge de la Conférence, celui-ci avait déploré que l’Iran ait poussé le Hezbollah à réactiver le front du Liban-Sud, “dans le but de préserver le régime” en place à Téhéran.

À l’ombre de ce constat, les Libanais sont en droit de soulever une série d’interrogations à l’adresse des mollahs iraniens. Plus spécifiquement, à celle des dirigeants des Gardiens de la révolution islamique:

Ignoraient-ils que le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, est loin d’être un enfant de cœur et que les expériences passées ont montré qu’il ne lésine nullement sur les méthodes (très) musclées en cas de conflit armé?

Ignoraient-ils qu’un univers technologique (un véritable univers!) sépare Israël du camp iranien et que, de surcroît, l’aviation militaire de lÉtat hébreu bénéficie d’une maîtrise totale et absolue du ciel, de Beyrouth jusqu’à Téhéran?

Ignoraient-ils aussi que dans un contexte de guerre ouverte, le gouvernement israélien est assuré d’un appui militaire massif et intensif des États-Unis, comme l’ont illustré les conflits précédents?

Peut-être fallait-il rappeler au régime des mollahs la petite phrase lancée, fort à propos, par feu le président Anouar Sadate qui s’était exclamé devant un journaliste occidental: “Je ne fais pas la guerre à Israël, mais plutôt aux États-Unis!”

En reprochant clairement au pouvoir iranien d’avoir engagé le Hezbollah contre Israël en faisant fi de “l’intérêt supérieur du Liban”, M. Macron connaissait, à n’en point douter, les réponses (implicites) à ces questions qui fâchent. Des réponses qui incitent à relever sans détour et sans complaisance une amère réalité: à l’instar de la plupart des dirigeants arabes qui se sont succédé au pouvoir au cours des 75 ans du conflit du Proche-Orient, le régime des mollahs iraniens n’a nullement pour objectif réel de, prétendument, “libérer la Palestine et Jérusalem”. Ni même de mener une guerre totale contre Israël ou d’anéantir l’État hébreu.

Son but est plutôt d’exploiter (politiquement et médiatiquement) la cause palestinienne – comme on le ferait avec un fonds de commerce – afin de se positionner en puissance régionale prépondérante et de s’imposer au monde arabe en se faisant le porte-étendard de la lutte du peuple palestinien, sans pour autant traduire en actions décisives ses discours incendiaires et belliqueux.

Pour les initiateurs de la stratégie d’exportation de la révolution islamique, il s’agissait ainsi d’implanter et de manipuler des milices auxiliaires locales pour mener des combats ponctuels, limités et sans grandes conséquences, contre Israël jusqu’au dernier Libanais, Palestinien ou Arabe, en prenant bien soin, toutefois, de ne pas mettre en péril la pérennité de lÉtat d’Israël. Mais les stratèges du régime des mollahs sont-ils en mesure d’admettre que même ces pragmatiques règles de jeu ont peut-être radicalement changé aujourd’hui, à l’ombre de la profonde redistribution des cartes géopolitiques dans la région?   

 

 

 

    

 

        

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