L’ère des recompositions

La défaite du Hezbollah, la fin du régime syrien et la destruction du Hamas ne relèvent pas du fait divers dans une région prise en otage par la politique de domination iranienne. Le coût prohibitif sur le plan humain marque la fin d’une ère nihiliste, où la région a fini par se rendre compte des effets dévastateurs des supercheries idéologiques qui ont servi de caution à des régimes prédateurs et meurtriers dont la survie dépendait des engrenages conflictuels, de l’état d’ensauvagement et des radicalisations islamistes qu’ils ont propulsés. Cependant, la réussite de ces dynamiques dépend largement des choix politiques et stratégiques que les acteurs respectifs sont prêts à adopter, alors que les effets résiduels de ces régimes de terreur sont loin de se dissiper et les impondérables de l’ordre géopolitique sont en état de convulsion.

L’élection présidentielle au Liban et la nomination d’un nouveau Premier ministre sont de bon augure, mais n’arrivent pas jusque-là à asseoir un consensus sur les séquences, les enjeux et les encadrements qui devraient structurer cette transition. La seule donne qui s’impose est celle de la destruction des plateformes opérationnelles du Hezbollah qui essaie de se réinvestir à partir des blocages politiques communément institués avec ses partenaires politiques. Leur jeu consiste à s’installer dans le déni et à exorciser les effets dévastateurs de la guerre et à se démarquer de leurs responsabilités à cet égard. L’ennui est que le président élu et le Premier ministre désigné se positionnent à partir du même état de déni, en méconnaissant la nouvelle dynamique qui les a portés au pouvoir, en récapitulant la doxa anti-israélienne et en se dessaisissant des enjeux réels de la trêve et de sa portée qui devraient déboucher sur un accord de paix entre Israël et le Liban. 

La trêve n’est pas une fin en soi, elle est une étape nécessaire à la conclusion d’un traité de paix qui mettrait fin à des cycles clos de violence pérenne. Le blocage tient à des considérations idéologiques et stratégiques et à des blocages mentaux qui se retraduisent en actes politiques. Les fascismes chiites maintiennent les verrouillages politiques en instrumentant les blocages. Cela veut dire, en d’autres termes, que le pays va perdurer l’état d’exception qui a prévalu pendant six décennies et qui a valu au Liban sa destruction. L’extraterritorialité des fascismes chiites, au même titre que celle de l’OLP, se pose en facteur de blocage à la restauration de la souveraineté étatique. L’Exécutif en place n’a ni la conviction ni le courage de faire face à cette politique de sabotage dont il embrasse les prémisses volontairement ou involontairement. Le choix des ministrables en est fortement conditionné. 

Le subterfuge des “technocrates” dissimule mal les choix idéologiques et identitaires qui s’opposent résolument au projet de paix avec l’État israélien comme gage à toute normalisation et à toute possibilité de réformes dans un pays pâtissant d’instabilité endémique. Les équivoques de positionnement sont loin d’être fortuites et vont inévitablement conduire à la perpétuation de l’instabilité transfrontalière et à ses incidences sur les équilibres internes et la viabilité du pays. L’épreuve du 27 janvier 2025, qui marquera la fin de la trêve, va mettre en relief les inconséquences d’un positionnement politique équivoque et de courte vue.

La situation à Gaza reproduit les mêmes impasses dans la mesure où les équivoques de la trêve sont instrumentalisées au bénéfice d’une stratégie dilatoire dont le but est de permettre à Hamas et consorts de survivre, de reprendre le contrôle du district et de continuer à faire carrière. L’inconsistance de l’Autorité palestinienne, l’émiettement de la scène palestinienne et la perpétuation des délires idéologiques sont loin d’aider à casser les enfermements et d’offrir des voies alternatives à explorer. C’est un scénario qui tend à favoriser les extrémistes israéliens qui ont surfé pendant des décennies sur les politiques du rejet en milieux palestiniens. 

Ce qui est alarmant, c’est l’absence de tout lien entre les stipulations de la trêve et la possibilité d’une relance des négociations entre Israéliens et Palestiniens. Ceci est de nature à raviver les extrémistes des deux bords et à les renvoyer à des fondamentalismes imperméables à toute logique de négociations et de recherche de solutions médianes. Tant que les verrouillages mentaux demeurent, il est vain de chercher des solutions réalistes qui aident les protagonistes à normaliser leur relation à ce conflit compact et imperméable à toute déconstruction. 

Le changement en Syrie avait induit une dynamique d’émancipation vis-à-vis du régime islamiste en Iran et permis aux mouvances islamistes de reprendre pied. L’Iran n’étant plus à même de contenir la lame de fond qui devait emporter le régime de Bachar el-Assad. Le régime d’Assad n'étant plus qu’un simulacre entièrement enrobé dans les linceuls du terrorisme d’État, des crimes contre l’humanité et d’une gouvernance mafieuse qui n’avait d’autre fonction que d’assurer la survie du régime. La prise du pouvoir des islamistes qui étaient en rupture de ban avec leur mouvance d’origine et son inspiration idéologique bouleversait la donne en enclenchant une démarche de libéralisation progressive. L’inertie idéologique, les rivalités inter-islamistes ainsi que les politiques de puissance turque, qatarie et saoudienne décuplées des irrédentismes ethno-religieux (alaouite, druze, kurde) redonnent à la question nationale toute son acuité, alors que la Syrie entre dans une phase de recompositions majeures.

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