Le scandale des “recrutements électoraux” dans le secteur public n’est pas un phénomène récent. Ce qui motive ces “chasseurs d’emplois fictifs” n’est pas tant le salaire que les avantages annexes: primes généreuses, dépenses discrétionnaires, allocations pour missions ponctuelles, frais de représentation ou encore indemnités de déplacement à l’étranger, souvent distribués avec une étonnante largesse.
Un projet de restructuration en suspens depuis 2017
Depuis 2017, un projet crucial de restructuration du secteur public, visant à recenser avec précision les postes vacants, reste lettre morte dans les tiroirs de l’exécutif. L’article 21 de la loi sur la grille des salaires, promulguée le 21 août 2017, interdit strictement tout recrutement ou emploi, quelle qu’en soit la forme, au sein des administrations publiques, y compris dans les secteurs de l’éducation et de l’armée et les projets en partenariat avec des organisations internationales. Cette interdiction couvre également les postes vacants à moins d’une approbation explicite du Conseil des ministres, appuyée par une étude du Conseil de la fonction publique.
Selon cette même loi, l’interdiction aurait dû rester en vigueur jusqu’à ce qu’une société d’audit, mandatée dans un délai de six mois, établisse une stratégie de restructuration. Ce plan devait inclure un recensement des postes vacants, ainsi qu’une analyse des postes à créer ou à supprimer, en tenant compte des avancées technologiques.
37.000 recrutements arbitraires
Malgré de nombreuses promesses gouvernementales depuis 1993 visant à mettre un terme aux recrutements désordonnés, ces engagements sont restés sans effet. Une étude réalisée par la Commission parlementaire des finances et du budget a révélé que les gouvernements successifs ont recruté de manière arbitraire environ 37.000 personnes.
Après la promulgation de la loi, en 2017, 5.473 personnes ont été embauchées, hors des secteurs militaires et sécuritaires. Parmi elles, seulement 460 ont été recrutées conformément aux règles en vigueur, tandis que 5.013 l’ont été en violation des lois, sous divers statuts tels que contractuels, journaliers ou prestataires de services. Avant 2019, ce chiffre s’élevait à 32.009 recrutements supplémentaires, effectués sous des appellations tout aussi variées.
Ibrahim Kanaan, président de la Commission des finances et du budget, estime que la crise financière de l’État s’explique moins par l’augmentation des salaires liée à la grille adoptée en 2017 que par le recrutement illégal de milliers de personnes, sans considération pour les besoins réels, les compétences ou l’expérience.
Un poids financier colossal
Le secteur public, incluant militaires, fonctionnaires, municipalités et retraités, compte aujourd’hui plus de 320.000 personnes. Les salaires de ces derniers s’élèvent à environ 142 millions de dollars mensuels en devises fraîches. Cette répartition comprend 120.000 employés dans le secteur militaire et sécuritaire, 11.000 dans les ministères (hors Éducation), 65.000 au ministère de l’Éducation (dont près de 40.000 contractuels), 20.000 dans les municipalités et les établissements publics et 125.000 retraités, majoritairement issus de l’armée.
La léthargie du Conseil de la fonction publique
L’inaction de la fonction publique a exacerbé le recours aux contractuels et aux employés journaliers. Le dernier concours organisé par le Conseil de la fonction publique pour recruter des employés de catégorie 4 remonte à 14 ans, tandis que les derniers concours pour l’enseignement secondaire et primaire datent respectivement de 9 et 15 ans.
En chiffres, environ 92.000 personnes perçoivent un salaire du Trésor pour des services rendus, dont 60% (environ 54.000) sont des contractuels, le secteur éducatif représentant 57% du total.
Départs massifs à la retraite
Les départs à la retraite posent également un défi croissant. En 2024, 453 fonctionnaires ont quitté l’administration publique. En 2025, 450 autres employés suivront, sans compter ceux qui quitteront le service pour diverses raisons telles que mariage ou demande de fin de service. D'ici à 2030, on estime que 2.850 employés supplémentaires prendront leur retraite, plus ceux qui partiront pour d’autres raisons. Ce phénomène aggravera encore les carences structurelles du secteur public.
Selon le bureau d’études et de recherche Information International, avec la vacance du poste de gouverneur de la Banque du Liban en août 2023, le nombre de postes vacants au sein de la première catégorie a atteint le chiffre de cent. La même source note par ailleurs que dix-huit postes de première catégorie sont devenus vacants entre août 2023 et fin 2025.
En conclusion, l’immobilisme et les pratiques illégales perpétuées au fil des années ont conduit à une situation financière et organisationnelle alarmante, nécessitant une réforme urgente et profonde.
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