Israël maintient cinq positions stratégiques au Liban: quels enjeux?
©Ici Beyrouth

Israël se retirera de tout le Liban. Tout? Non, puisque l’État hébreu maintiendra cinq points stratégiques en territoire libanais. C’est, du moins, ce qu’ont annoncé les autorités à Tel-Aviv, lundi après-midi. Le maintien de ces troupes n’est pas sans soulever des questions sur les intentions stratégiques d’Israël à court et à long termes.

À partir de demain mardi, Israël n’aura plus de présence au Liban-Sud, mais gardera des militaires dans les cinq sites suivants:

- La colline de Aaziyé: située à 2 km de la frontière, près de Deir Seryan. Cette colline surplombe le fleuve Litani depuis Mahmoudiyé, dans le caza de Marjayoun, et domine le côté libanais.

- La colline de Awaida: située à 1 km de la frontière, entre Odaïssé et Kfar Kila, cette colline est la seule à surplomber la colonie israélienne de Mtellé et les colonies voisines.

- La colline de Labbouné: à quelque 300 mètres de la frontière, cette zone forestière dense s'étend le long d’Alma el-Chaab et de Naqoura. Elle surplombe les territoires libanais et israéliens.

- La colline de Hamames: située à 1 km de la Ligne bleue, à la périphérie de Khiam, elle domine Mtellé depuis le nord.

- La colline de Jabal Blat: située à 1 km de la Ligne bleue, entre Ramya et Marouahine, elle surplombe les deux côtés des secteurs ouest et central.

Aucune date n’a été avancée pour un retrait de ces cinq points jugés stratégiques parce qu’ils lui permettent d’assurer la sécurité de sa bande frontalière nord, dont les habitants devraient pouvoir regagner leurs foyers à partir du 1er mars.

Depuis son entrée en vigueur, le 27 novembre 2024, jusqu’au prolongement de son délai au 18 février, soit demain mardi, le cessez-le-feu n’aura pas vraiment mis fin aux opérations militaires israéliennes.

Marquée par une tension palpable qui va crescendo, la situation au Liban-Sud oscille entre accalmie fragile et recrudescence de violence, notamment ces deux derniers jours. Aux attaques israéliennes ciblées de dimanche et de lundi, vient s’ajouter une crise diplomatique entre le parrain et bailleur de fonds du Hezbollah, l’Iran, et l’État libanais. Née de l’interdiction, depuis jeudi dernier, des vols iraniens à destination de Beyrouth, cette crise en a déclenché une autre, entre l’État et le Hezb. Israël accuse le Hezbollah d’utiliser l’aéroport international de Beyrouth pour acheminer des fonds iraniens qui lui seraient destinés. De son côté, la formation pro-iranienne dénonce ce qu’elle appelle une ingérence israélienne et une violation de la souveraineté libanaise. Dimanche soir, le secrétaire général du Hezb, Naïm Qassem, a expressément demandé au gouvernement libanais de revenir sur sa décision d’interdire les vols iraniens, une preuve supplémentaire que son parti est à court de moyens. Si cette crise semble “passagère”, celle sécuritaire ne présage rien de bon et risque de s’étendre dans la durée.

Tel Aviv continue d’accuser le Hezbollah de poursuivre ses activités militaires et attend, selon ses responsables, des garanties concrètes concernant le désarmement de la milice pro-iranienne et une stabilisation plus large du Liban avant de modifier sa stratégie militaire.

C’est donc “compte tenu de la conjoncture et des tentatives du Hezbollah de se réarmer et de bénéficier de financements extérieurs que peut s’expliquer la volonté d’Israël de maintenir cinq points de présence dans le sud du Liban”, explique David Rigoulet-Roze, chercheur associé à l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris) et directeur de la revue Orients stratégiques.

“La situation reste extrêmement tendue, avec des frappes israéliennes ciblant des sites relevant du Hezbollah”, commente-t-il. Il rappelle, à cet égard, qu’Israël a déposé une plainte devant la commission internationale de surveillance du cessez-le-feu, concernant les stocks d'armes du Hezbollah qui n'auraient pas été démantelés. Cela reflète, selon lui, un message clair: “Bien qu’elle ait accompli un travail considérable, l’armée libanaise n’a pas encore réalisé tout ce qu’elle devait – ou pourrait – réaliser”.

Côté libanais, le gouvernement continue de naviguer dans des eaux troubles, tiraillé entre les attentes internationales de stabilisation et les problèmes internes. Une vision que rend toujours difficile la présence armée du Hezbollah dans le pays, notamment au sud du Litani. Ce dernier se retrouve néanmoins “de plus en plus affaibli”, comme le suggère le professeur Rigoulet-Roze. Cette nouvelle dynamique marquerait, d’après lui, “une perte d’influence de la formation sur l’échiquier politique libanais”.

Le cessez-le-feu: un acte manqué?

Selon des sources sécuritaires, le maintien des cinq points par Israël s’explique par le fait que Tel Aviv considère qu’il n’a pas encore atteint tous ses objectifs et par un plan stratégique plus large.

“Le cessez-le-feu était une erreur”, martèle-t-on de source sécuritaire, précisant qu’Israël a accepté de le conclure pour deux raisons. “Primo, sur la base d’assurances des États-Unis qui se seraient engagés à en finir avec le Hezbollah. Secundo, pour démontrer qu’au Liban, qui était sans président et sans gouvernement doté des pleins pouvoirs, les notions d’État, de peuple et de nation sont inexistantes”, poursuit-on.

Selon cette source, l’“absence d’État justifierait, pour Israël, tout un éventail d’actions”. Cela se traduirait, d’après notre interlocuteur, par la volonté de Tel Aviv de maintenir ses positions aux cinq points stratégiques, mais aussi, de manière plus large, par sa détermination à occuper le sommet du Mont-Hermon, à sécuriser les sources du Jourdain et du fleuve Hasbani, à étendre son influence au fleuve Litani et à créer un glacis assez large au sud qui lui permettrait d’intercepter des missiles qui seraient éventuellement lancés par le Hezbollah.

Quid du Hezbollah? “Pour la formation pro-iranienne, cette période de cessez-le-feu devait constituer un temps de répit lui permettant de se reconstituer après une lourde défaite à plus d’un niveau et de faire en sorte que l’Iran puisse poursuivre sa stratégie d’accès à la Méditerranée en consolidant son emprise sur l’État libanais”, indique-t-on de même source. Un projet cependant difficile à réaliser, l’élection à la tête de l’État de Joseph Aoun, porteur d’un projet souverainiste, ayant réduit à néant ce rêve.

Quoi qu’il en soit, la situation actuelle – fragile, sujette à des rebondissements et alimentée par les divergences de stratégie entre Israël, le Liban, le Hezbollah et les grandes puissances mondiales – est telle que celle de la région dépend de la capacité de chacun à gérer les tensions. Un défi de taille dans un contexte aussi complexe.

 

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