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Dix ans après sa captivité, Nicolas Hénin témoigne au procès de son ex-geôlier, Mehdi Nemmouche, et de quatre autres djihadistes, exécuteurs de Daech. Dans un entretien exclusif accordé à Ici Beyrouth, il décrypte le début du procès, l’idéologie terroriste et l’importance de la justice face à la barbarie.
Le procès s’est ouvert lundi 17 février 2025. Nicolas Hénin, ancien otage de Daech, retrouve son geôlier, Mehdi Nemmouche, devant la justice française. Ce dernier, déjà condamné pour l’attentat du Musée juif de Bruxelles, est jugé pour l’enlèvement et la séquestration de vingt-sept Occidentaux en Syrie en 2013-2014. Parmi eux, quatre journalistes français, dont Nicolas Hénin, ont subi les violences de celui qui se révèle être un tortionnaire méthodique.
Lors de son témoignage, Hénin revient sur les mois de détention marqués par les tortures et l’exécution de plusieurs codétenus, dont son ami James Foley, égorgé par les djihadistes. Il évoque aussi la cruauté sadique de Nemmouche, décrit dans son article Nemmouche et moi comme un bourreau dépourvu de réelle conviction religieuse, préférant fredonner Douce France entre deux séances de torture.
Dix ans après, Hénin refuse de céder à la haine. Il plaide pour la justice et non pour la vengeance, convaincu que seule la parole peut combattre l’idéologie djihadiste. Depuis sa libération, il sensibilise les jeunes aux dangers du radicalisme, insistant sur l’importance de l’humanité face à la barbarie.
Dans un entretien exclusif accordé à Ici Beyrouth, Nicolas Hénin livre un témoignage sans concession sur la conduite du procès et la posture des accusés.
“Un procès décevant”
Dès l’ouverture des audiences, l’ancien otage exprime sa frustration face au comportement des djihadistes dans le box: “Au moment où nous parlons, le procès est en cours. Avant son ouverture, ce que je souhaitais, c'était une manifestation de la vérité. Le début du procès, je l'ai trouvé très décevant, parce que les accusés restent globalement dans le déni.” Pourquoi ce refus d’assumer leurs actes? Nicolas Hénin s’interroge: “J'ai même du mal à comprendre ce déni. On a l'impression, au moins pour certains d'entre eux, qu'ils souhaitent avoir, j'ai envie de dire, le beurre et l'argent du beurre. D'une part, ils cherchent à bénéficier de l'aura de super-terroriste, du statut de champion du crime qu'ils aimeraient revendiquer dans leur cercle, que ce soit à travers la propagande ou la réputation qu'ils pourraient avoir en prison. D'autre part, dans la salle d’audience, ils cherchent presque à se faire passer pour des innocents. Cette double casquette est perturbante.”
Peut-on espérer un sursaut de lucidité au fil des audiences? Là encore, l’ancien otage demeure sceptique: “À ce stade, ils ne me semblent pas disposés à assumer leurs actes. J'espère avoir des explications dans la suite du procès, même si je reste pessimiste, car toute prise de parole ne ferait qu’exposer en plein jour leurs contradictions.”
La peur comme arme du terrorisme
Loin d’être un simple outil de domination, la peur est une stratégie bien rodée des organisations terroristes. Nicolas Hénin rappelle l’essence même du mot: “La peur est à la fois l'origine et la racine du mot terrorisme, mais aussi son mode opératoire et l'effet final recherché. Ce qu'ils veulent, c'est distiller la peur. Ils cherchent à provoquer une réaction de haine pour que nous leur répondions en reniant nos propres valeurs.”
La diffusion de la propagande joue un rôle central dans cette mécanique. Comment, alors, aborder ces images insoutenables sans tomber dans leur piège?
“Cette peur est principalement instillée à travers leur propagande. C'est pourquoi il faut manipuler ces images avec la plus grande prudence. Elles ne doivent pas être utilisées à la légère, car elles ont été créées pour produire un effet.”
Le procès a d’ailleurs soulevé un débat délicat: fallait-il projeter la vidéo de l’exécution de James Foley, l’un des compagnons de captivité de Hénin?
“Plusieurs avocats d'otages exécutés étaient favorables à sa diffusion. Moi-même, j’étais réservé. Non pas qu’il ne faille pas rendre compte de façon réaliste des sévices et des crimes commis, mais parce que cette présentation doit être aussi clinique et peu émotionnelle que possible. Ma déposition est clinique, mes déclarations sont cliniques, tandis que les vidéos de propagande ne le sont pas. Elles surjouent l’émotion et présentent les exactions d’une manière destinée à déclencher la peur.”
Un terrorisme qui cible les fractures sociales
Plutôt que d’être un phénomène isolé, le terrorisme s’appuie sur les divisions existantes au sein des sociétés qu’il frappe. Pour Nicolas Hénin, Daech, comme d’autres groupes avant lui, a méthodiquement étudié ces lignes de fracture pour mieux les exploiter.
“La fracture est l’objectif du terrorisme. Lorsqu’un groupe terroriste prépare une campagne, il commence par analyser les lignes de fracture existantes dans la société et cherche à les exacerber.”
Il cite plusieurs exemples: “C’est ce qu’a fait Zarqawi en Irak, en exploitant le clivage naissant entre chiites et sunnites, ou encore Daech en Égypte, en ciblant les chrétiens de Moyenne-Égypte. Ils ont compris comment instrumentaliser des tensions locales pour créer des divisions profondes.”
Face à cette stratégie, quelle est la meilleure réponse? “La meilleure réponse au terrorisme est donc de travailler à la cohésion de la société. Une frappe terroriste, c'est une attaque sur l’arrière, comme dans une guerre classique. Et dans une guerre, il est essentiel de maintenir le moral et la cohésion.”
Un appel à l’unité qui contraste avec la spirale de la haine que recherchent les terroristes.
“La haine est un piège”. S’il est une tentation après un attentat, c’est celle de la haine. Mais pour Nicolas Hénin, céder à ce sentiment, c’est tomber dans le jeu des terroristes. “La haine est un jeu à somme négative. Ce n’est pas: 'Je te fais du mal, donc il y en a un qui gagne et l'autre qui perd.' Non, c’est 'Je te hais, mais cette haine va aussi me détruire'.” Pour illustrer son propos, il fait une comparaison imagée: “Si l’on demandait à un caricaturiste de dessiner un homme haineux, ce serait quelqu’un de très laid. Et je n’ai aucune envie de ressembler à ça.” Mais refuser la haine ne signifie pas refuser le combat. “On peut très bien combattre efficacement un ennemi sans pour autant éprouver de haine. C’est d’ailleurs ce qu’on enseigne aux militaires: on leur apprend à se battre, à respecter le droit international humanitaire, mais jamais la haine. La haine n’est pas une force, elle n’apporte rien.” Alors, quelle est l’alternative? “La justice reste notre meilleure arme contre ces criminels.”
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