
Le Yémen, terre de fractures historiques, porte encore aujourd'hui les cicatrices d'une division séculaire entre le Nord et le Sud. Si l'unification de 1990 semblait offrir une solution aux tensions, elle n'a fait que masquer des fractures profondes, exacerbées par des dynamiques politiques, économiques et idéologiques opposées. Aujourd'hui, le pays se retrouve pris dans un tourbillon de conflits internes et d'ingérences extérieures, entre un mouvement séparatiste au Sud et une guerre dévastatrice au Nord, alimentée par les Houthis. Retour sur une histoire de divisions qui perdure et sur un avenir incertain.
Depuis des siècles, le Yémen est marqué par des fractures internes, notamment entre le Nord et le Sud. Ces divisions, enracinées dans l'histoire précoloniale, se sont cristallisées au XXe siècle avec l'émergence de deux entités distinctes: la République arabe du Yémen (Nord) et la République démocratique populaire du Yémen (Sud). Loin d'être une simple question géographique, cette fragmentation repose sur des divergences politiques, économiques et culturelles qui continuent d'alimenter les tensions actuelles.
Historique des divisions
Le Yémen a longtemps été divisé entre un Nord dominé par un pouvoir zaydite depuis le IXe siècle et un Sud influencé par les puissances maritimes, notamment l'Empire ottoman et le Royaume-Uni.
L'Empire ottoman a contrôlé une grande partie du nord du Yémen jusqu'à son retrait en 1918, laissant place au royaume mutawakkilite du Yémen dirigé par l'imam Yahya. Pendant ce temps, le Sud était sous domination britannique, centrée autour du port stratégique d'Aden, un carrefour du commerce international.
Guerre civile et implication de l'Égypte
En 1962, un coup d'État militaire au Nord a mis fin à la monarchie mutawakkilite, établissant la République arabe du Yémen. Cette révolution, inspirée par le nassérisme, a déclenché une guerre civile entre royalistes soutenus par l'Arabie saoudite et républicains appuyés par l'Égypte de Nasser.
L'épisode est souvent qualifié de "Vietnam de Nasser" en raison de l'enlisement égyptien et des lourdes pertes subies. Selon l'historien Fawaz Gerges, cette guerre a affaibli l'Égypte, contribuant à sa défaite contre Israël en 1967. Après le retrait égyptien et la mort de Nasser, la République arabe du Yémen a survécu, consolidant un régime militaire et autoritaire.
Indépendance du Sud
Au Sud, le départ des Britanniques en 1967 a mené à la création de la République démocratique populaire du Yémen, le seul État marxiste du monde arabe. Sous l'influence de l'URSS, Aden est devenu un bastion du socialisme révolutionnaire, réprimant toute opposition politique.
Les relations entre les deux Yémen étaient tendues, avec des affrontements armés réguliers, notamment en 1972 et 1979. L'unité semblait impossible, tant les différences idéologiques étaient profondes.
L'unification et ses limites
Avec la fin de la guerre froide et l'effondrement de l'URSS, le Sud a perdu son principal soutien. Dans un contexte de crise économique, les dirigeants sud-yéménites ont accepté une unification avec le Nord en 1990, sous l'égide du président Ali Abdallah Saleh. Cependant, cette unité s'est rapidement dégradée. Les Sudistes se sont sentis marginalisés par un pouvoir dominé par le Nord, provoquant une guerre civile en 1994. Le Nord a réprimé la tentative de sécession du Sud, instaurant un système centralisé qui continue d'alimenter la frustration des populations du Sud.
Un conflit toujours d'actualité
Aujourd'hui, les divisions entre le Nord et le Sud persistent. Le mouvement séparatiste du Sud, incarné par le Conseil de transition du Sud (CTS), revendique une autonomie voire une indépendance. Un acteur yéménite proche du CTS, interrogé par Al-Jazeera, déclarait récemment: "Nous ne voulons plus être sous la domination de Sanaa. Notre identité sudiste est différente et notre avenir doit être décidé par nous-mêmes." Cette position résume le sentiment prédominant chez de nombreux Sud-Yéménites. Parallèlement, la guerre entre le gouvernement reconnu internationalement et les Houthis au Nord complique davantage la situation. Les récents développements montrent l'impact des interventions extérieures, notamment l'influence des Émirats arabes unis au Sud et la montée en puissance des Houthis, soutenus par l'Iran. Ces dynamiques continuent d'aggraver la situation.
Comme l'explique l'expert Gregory D. Johnsen dans The Last Refuge: Yemen, Al-Qaeda, and America's War in Arabia, "le Yémen est un État fragile, dont les fractures historiques sont exacerbées par des ingérences extérieures et des crises internes non résolues".
L'histoire du Yémen montre que ses divisions ne sont pas seulement politiques, mais aussi ancrées dans des dynamiques historiques profondes. L'unification de 1990, loin d'être une solution définitive, a mis en évidence des fractures qui se répercutent encore aujourd'hui. Comprendre ces différences est essentiel pour saisir les enjeux actuels et envisager des solutions viables pour l'avenir du pays.
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