Les Frères musulmans et l’Iran: une alliance méconnue mais stratégique
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Peu de relations politiques dans le monde musulman suscitent autant de controverse que celle qui unit, dans l’ombre, les Frères musulmans à la République islamique d’Iran. Si ces deux entités semblent a priori opposées – l’une sunnite, l’autre chiite –, leur coopération, en particulier depuis la révolution iranienne de 1979, révèle une convergence d’intérêts aux répercussions régionales profondes.

Un rapprochement idéologique dès la Révolution islamique

Lorsque l’Ayatollah Khomeiny prend le pouvoir en Iran, il reçoit un accueil enthousiaste de la part de nombreux mouvements islamistes sunnites, dont les Frères musulmans, séduits par la portée «islamique» de la révolution. Bien que de confession chiite, le régime iranien prône une lutte contre «l’impérialisme» et «l’arrogance occidentale» qui trouve un écho fort chez les Frères.

Ce rapprochement n’était pas qu’idéologique: des œuvres de Sayyid Qutb, penseur radical des Frères musulmans, ont été traduites en persan sous l’égide directe de l’ayatollah Ali Khamenei, signe d’une volonté de bâtir un socle doctrinal commun autour du rejet des régimes laïcs et de la souveraineté populaire.

La Syrie, point de rupture historique

Ce front uni trouve cependant une ligne de fracture majeure en Syrie. Dès les années 1980, les Frères musulmans syriens entrent en rébellion armée contre le régime de Hafez el-Assad, farouche allié de l’Iran. Le massacre de Hama, en 1982, qui coûte la vie à des dizaines de milliers de civils, scelle l’animosité entre les Frères syriens et Téhéran, toujours défenseur du pouvoir syrien, que ce soit sous Assad père ou fils.

Hamas et le Hezbollah: des alliances pragmatiques

À l’inverse, la branche palestinienne des Frères musulmans, le Hamas, affiche une proximité assumée avec l’Iran, notamment sur le plan militaire et financier. Malgré des tensions passagères au moment du conflit syrien, l’alliance s’est renforcée ces dernières années, plaçant le Hamas au cœur de l’«axe de la résistance», aux côtés du Hezbollah et de l’Iran.

De même, la Jama’a Islamiya libanaise, autre mouvement islamiste sunnite affilié aux Frères, maintient des liens de coordination avec le Hezbollah, dans une logique d’intérêts croisés sur le terrain libanais.

La Jordanie dans la ligne de mire

La découverte récente d’une cellule affiliée aux Frères musulmans en Jordanie, accusée d’avoir reçu un entraînement militaire au Liban, jette une lumière nouvelle sur les ambitions régionales de l’Iran. Pour Téhéran, la Jordanie représente un maillon clé pour l’expansion de son influence, à l’image de ce qui a été réalisé au Liban, en Irak, au Yémen et à Gaza.

La crainte exprimée par les autorités jordaniennes est claire: la constitution de milices pro-iraniennes camouflées sous des slogans de soutien à la Palestine, mais œuvrant à la déstabilisation interne. Une stratégie déjà bien rodée ailleurs dans la région.

Une convergence dangereuse?

Ainsi, malgré leurs différences confessionnelles, l’Iran et certains courants des Frères musulmans semblent partager une ambition commune: remodeler l’ordre régional au détriment des régimes en place. Une convergence qui soulève de nombreuses interrogations sur l’autonomie réelle de ces groupes et sur leur rôle dans les conflits en cours.

Si cette dynamique se confirme, les conséquences pourraient être majeures, non seulement pour la Jordanie, mais pour l’ensemble du Moyen-Orient.

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