
Dans Hors-Saison, Stéphane Brizé signe un récit pudique et bouleversant sur la parole retrouvée entre deux anciens amants. Guillaume Canet et Alba Rohrwacher incarnent avec justesse cette rencontre tardive, douce et lucide, dans la lumière pâle de Quiberon, en Bretagne.
Il y a dans Hors-Saison cette élégance rare des histoires qui ne cherchent pas à faire spectacle. Stéphane Brizé y filme une parenthèse dans deux vies, un instant de répit entre deux directions opposées, un espace où les mots peuvent, enfin, avoir lieu. Il filme un homme fatigué, une femme inachevée, et ce qu’ils arrivent à se dire, ou à se taire, quand tout semble trop tard. Le scénario, coécrit avec Marie Drucker, porte cette sensibilité à fleur de peau, cette justesse pudique qui fait affleurer les émotions sans jamais les exhiber.
Lui, c’est Mathieu, acteur célèbre, incarné par Guillaume Canet avec une grande retenue. On ne sait pas s’il fuit ou s’il cherche à se retrouver, mais il s’installe à Quiberon, dans une thalassothérapie balayée par le vent. Hors saison, hors tension, cet homme vidé par la sursollicitation médiatique vient se (re)poser dans ce décor de silence. Il est marié à une présentatrice du 20h, une figure bien connue, belle, brillante, ambitieuse. Ils ont un fils de 11 ans. Leur quotidien est cadencé, chaque mot pesé, chaque échange tendu vers l’efficacité. Et l’on comprend vite que Mathieu n’a plus d’espace pour exprimer ses doutes, ni dans son métier ni dans son foyer. Parler n’est plus un geste possible.
Elle, c’est Alice, jouée avec une tendresse discrète par Alba Rohrwacher. Italienne installée en Bretagne, elle vit désormais avec son mari, un médecin, le même qui, quinze ans plus tôt, lui avait prescrit des antidépresseurs pour survivre à une rupture dévastatrice, celle avec Mathieu. Elle a une fille. Elle aussi a continué sa vie. Mais pas guéri. Elle n’a pas cherché à remplacer ce qui avait été perdu; elle a, simplement, fait autrement. Autrefois pianiste, elle a abandonné toute carrière. «Je ne jouais plus pour personne», dit-elle, comme on avoue une extinction intérieure. L’amour l’avait vidée d’elle-même. Elle n’en a jamais voulu à personne. Mais elle est restée là.
Le hasard, ou le destin, mais Brizé ne le dira pas, les réunit à Quiberon. Et ce qui aurait pu n’être qu’un moment de gêne ou de politesse devient une lente et belle reconquête de la parole. Le film prend le temps. Il écoute. Il donne à ces deux êtres un espace pour se redire. Non pas pour rejouer l’histoire, mais pour la relire ensemble. Avec la délicatesse d’un Hiroshima mon amour, avec la tension douce d’Un homme et une femme, ou plutôt d’Une femme et un homme, tant ici c’est la voix d’Alice qui guide le récit.
Difficile de ne pas penser à la fameuse scène de la plage chez Lelouch, cette errance sur le sable, cette distance à combler, cette hésitation avant le geste. Chez Brizé, la plage est plus pâle. Moins romanesque. Mais elle porte, elle aussi, le poids des retrouvailles impossibles, ce «ni avec toi ni sans toi» si profondément humain, formule empruntée à La Femme d’à côté de Truffaut, et devenue chanson sous la plume de Vincent Delerm, qui signe ici la bande originale du film.
Et puis ils se retrouvent, non plus dans les images du passé, mais dans la vérité nue du présent.
Mathieu, revenu par fatigue plus que par envie, s’ouvre à elle comme à personne. Ce n’est pas qu’elle l’écoute mieux que son épouse, mais elle l’écoute autrement, sans agenda, sans armure. Il peut lui dire qu’il est à bout. Qu’il ne sait plus ce qu’il joue, dans quel film il vit, ni pour qui. Il peut, pour une fois, ne pas faire semblant. Il sourit à son accent italien resté intact: «Zéro progrès», lui glisse-t-il, mi-taquin, mi-tendre, comme s’il reconnaissait là une fidélité à ce qui fut.
Elle, en retour, trouve enfin la possibilité d’exprimer ce qu’elle a gardé trop longtemps. Pas des reproches, il n’y a aucune rancune chez Alice, mais une vérité nue. Le fait qu’il l’avait quittée pour une autre. Qu’elle était restée brisée. Et qu’elle avait dû se réfugier ailleurs, non pour vivre autrement, mais pour simplement continuer à vivre.
Le film ne force rien. Tout est dans les regards et les silences qui durent. Et puis il y a cette scène magnifique, au cœur du film, dans une salle de mariage. Entourés de convives qu’on oublie immédiatement, Mathieu et Alice dansent. Cette danse, c’est le cœur battant du film. Ils ne rejouent pas le passé. Ils ne rêvent pas à l’avenir. Ils sont là, simplement, ensemble, dans ce moment suspendu que la musique rend presque sacré. La mélodie, signée Vincent Delerm, revient comme un leitmotiv discret, jamais chantée, toujours discrète. Elle enveloppe leurs gestes, leur intimité retrouvée.
La suite, Brizé la laisse en suspens. Ce n’est pas un film de retrouvailles, ni un mélodrame. C’est un récit d’apaisement. De lucidité.
Hors-Saison est un film sur ce que cela change, de pouvoir, enfin, dire ce que l’on a tu pendant des années. Il ne cherche pas à relancer une romance, il raconte une forme de consolation. Celle d’une femme qui peut enfin tourner la page sans renier ce qui fut. Celle d’un homme qui redécouvre sa propre vulnérabilité. C’est peut-être l’un des plus beaux rôles de Guillaume Canet, tant il parvient à incarner le doute sans jamais le théâtraliser. Et Alba Rohrwacher, avec sa grâce blessée, est tout simplement bouleversante.
Dans la lumière pâle de Quiberon, sur ces plages désertes, dans ces chambres impersonnelles de thalasso, Brizé filme un amour défait avec une tendresse immense. Il filme l’absence, le deuil, mais aussi cette respiration qui peut surgir quand deux êtres acceptent, enfin, de se parler. Le film s’arrête là où commence autre chose. Hors saison.
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