
À Cannes cette année, le cinéma ne se contente plus de raconter, il peint. Portés par l’héritage des grands maîtres, certains films transforment l’écran en véritable toile vivante, entre émotion et contemplation.
Certains films parlent. D’autres montrent. Mais quelques-uns, plus rares, donnent l’impression de peindre. À Cannes 2025, deux films en compétition se distinguent par leur lien étroit avec la peinture: Renoir de Chie Hayakawa et The Phoenician Scheme de Wes Anderson. L’un évoque le monde intime d’une fillette plongée dans l’univers impressionniste. L’autre, plus stylisé, transforme chaque scène en composition colorée. Deux démarches très différentes, mais un même amour pour l’image.
Dans Renoir, la réalisatrice japonaise Chie Hayakawa ne filme pas le peintre Pierre-Auguste Renoir lui-même. Elle suit Fuki, une enfant de 11 ans, dont le père est gravement malade. Pour échapper à la réalité, Fuki se plonge dans un monde imaginaire inspiré par la peinture de Renoir, ses scènes lumineuses, sa manière de capturer la vie avec délicatesse.
La lumière du film, le cadrage, les mouvements de caméra rappellent les tableaux du peintre. Les visages baignés de lumière, les décors flous et chaleureux. La photographie de Hideho Urata apporte une touche poétique à chaque plan. La musique de Rémi Boubal, discrète et émotive, renforce cette impression d’un rêve éveillé.
Ce n’est pas un film sur la peinture. C’est un film traversé par la peinture. Elle n’est pas un sujet, mais une manière de voir, de ressentir. Dans le regard de cette enfant, Renoir devient une façon de survivre à la peur, d’adoucir l’incompréhensible. Le film, coproduit par plusieurs pays, dont la France, le Japon et les Philippines, touche par sa simplicité et sa beauté.
L’affiche du film «Renoir» de Chie Hayakawa © DR
L’art dans le cadre
Wes Anderson, lui, est bien connu pour son style très visuel. Ses films sont souvent comparés à des tableaux. Avec The Phoenician Scheme, il va encore plus loin. Ce film d’espionnage, drôle et étrange, se déroule dans un univers inventé, très codé. Anderson s’inspire de peintres comme Edward Hopper ou Grant Wood pour construire ses décors et ses scènes.
Chaque plan est comme une image fixe, soigneusement composée. Les personnages sont cadrés au centre, les couleurs sont franches, les lignes sont droites. Le chef opérateur Bruno Delbonnel a travaillé avec une précision impressionnante, et la musique d’Alexandre Desplat vient souligner l’ambiance particulière du film. On se croirait parfois dans une galerie d’art, où les personnages bougent à peine dans un décor trop parfait pour être vrai.
Mais sous cette surface très travaillée, Anderson raconte aussi une histoire. Il utilise la peinture pour créer une distance, pour faire réfléchir. Pourquoi tout semble figé? Pourquoi ces visages sont-ils si calmes? Parce que derrière les belles images, il y a des secrets et des questions.
Ce choix visuel renforce le ton étrange du film. Comme dans certains tableaux, ce qui dérange n’est pas ce qu’on voit, mais ce qu’on ne voit pas. Le cadre trop propre, trop calme, dit quelque chose de plus profond. Il montre un monde qui cherche à cacher ce qu’il ne veut pas dire.
Cette façon d’utiliser la peinture pour enrichir un film n’est pas réservée à Wes Anderson ou à Chie Hayakawa. D’autres films à Cannes cette année suivent la même logique. La Petite Dernière, de Hafsia Herzi, par exemple, accorde beaucoup d’importance à la lumière naturelle. Certaines scènes rappellent les tableaux doux et intimes de Berthe Morisot. Sirat, d’Oliver Laxe, joue avec les teintes chaudes et poussiéreuses du Maroc, créant des images presque spirituelles. Même Alpha, de Julia Ducournau, pourtant très moderne dans sa forme, rappelle parfois les portraits expressionnistes, avec ses visages déformés par l’émotion.
À Cannes, certains films sont traversés par la peinture. © DR
Ce qu’on remarque, c’est que de plus en plus de cinéastes prennent le temps de composer leurs images. Ils ne filment pas seulement pour montrer, mais pour créer une atmosphère. Ils utilisent la peinture comme une source d’inspiration, un guide visuel. Et cela se sent.
Face à la vitesse des images sur les réseaux sociaux, à la consommation rapide des séries, ces films proposent autre chose. Ils invitent à regarder vraiment. À contempler. La peinture devient alors un moyen de résister à l’agitation, de revenir à l’essentiel, à la beauté d’une image et à la lumière sur un visage.
Ce retour à la peinture dans le cinéma montre que les arts se nourrissent entre eux. Que le cinéma, comme la peinture, peut faire surgir des émotions sans dire un mot.
Cette année, Cannes nous rappelle que le cinéma n’est pas seulement une affaire de dialogues et de récits. C’est aussi une affaire de regard. Et quand ce regard se fait peintre, l’écran devient tableau, et l’histoire devient sensation.
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