Cannes 2025: une clôture entre larmes, force et engagement
Le réalisateur irakien Hasan Hadi; le réalisateur, scénariste et producteur iranien Jafar Panahi; et l'actrice iranienne Hadis Pakbaten posent sur scène lors de la cérémonie de clôture de la 78e édition du Festival de Cannes, le 24 mai 2025. ©Sameer AL-DOUMY / AFP

La 78ᵉ édition du Festival de Cannes s'est terminée le 24 mai 2025, avec une célébration d’un cinéma engagé. Sous la présidence de Juliette Binoche, donnant déjà le ton du festival, le jury a mis en valeur des films qui interrogent notre époque, alliant introspection et critique sociale et politique.

Le 24 mai, après dix jours intensifs de projections, Cannes a baissé le rideau sur sa 78ᵉ édition dans une ambiance d’élévation artistique. Un festival intense, politique et humain, où la parole a brisé le silence sur grand écran. Sur les fameuses notes emblématiques du Festival, le morceau Aquarium, extrait de la suite Le Carnaval des animaux composée par Camille Saint-Saëns en 1886, le thème est devenu une signature de l’événement, grâce au choix du délégué général du festival en ce temps-là. Avant chaque montée des marches, chair de poule s’impose dans un monde brouillant les limites de la réalité et de la fiction.

Jafar Panahi, l’insoumis couronné

Dans une salle suspendue à ses mots, Jafar Panahi a reçu la Palme d’or pour son film Un simple accident, une œuvre dense et tendue, filmée après sa sortie de prison. Interdit de quitter l’Iran durant des années, Panahi, figure centrale de la dissidence, signe un huis clos poignant entre victime et bourreau, embarqués dans une virée tragique. En 2010, au Festival de Cannes, après avoir reçu le Prix d’interprétation féminine pour Copie conforme d’Abbas Kiastrostami, Juliette Binoche avait brandi une pancarte portant le nom de Jafar Panahi, alors emprisonné en Iran et menant une grève de la faim. Cet acte avait mené à une mobilisation internationale. Jafar Panahi avait été relâché trois jours plus tard. Quinze ans plus tard, c’est elle qui lui remet la Palme d’or. Juliette Binoche, présidente du jury, a souligné, quant à elle, «la puissance créative du cinéma et son devoir de se tenir aux côtés de ceux qui souffrent».

«C'est vraiment difficile de parler. Avant de dire quelque chose, permettez-moi de remercier ma famille pour toutes ces fois où j'ai été absent», a lancé Jafar Panahi, avant de lâcher un appel à la diaspora: «Je n'aurais pas pu faire ce film sans une équipe engagée. C'est le moment de demander une chose à tous les Iraniens dans le monde: mettons tous nos problèmes et nos différences de côté. Le plus important, c'est notre pays et la liberté de notre pays.»

La remise de prix est orchestrée par Cate Blanchett: «Le cinéma, c’est la vie. Il est dangereux, impoli.»

Joachim Trier et la force du lien

Le Grand Prix a été décerné à Valeur sentimentale, drame familial du Norvégien Joachim Trier. Le cinéaste y explore avec délicatesse la réconciliation par l’art. Dans un discours sobre et vibrant, il a dédié le prix à son équipe et à son grand-père, ancien résistant, comédien et musicien: «Nous vivons une époque d’excès et de saturation par les images, dont on nous bombarde. Cannes est l’univers de l’image libre, celle à qui nous accordons notre temps, avec lesquelles nous accordons notre empathie dans ces temps tourmentés.»

Actrices et réalisatrices: la parole est à elles

Dans La Petite Dernière de Hafsia Herzi, c’est une jeune actrice de 23 ans, lesbienne, musulmane et étudiante en STAPS, qui est mise en relief. Avec toute authenticité, elle est venue chercher son Prix d’interprétation: «Merci Hafsia pour ton audace, ta confiance et ton courage», a-t-elle attesté.

Mascha Schilinski, lauréate du Prix du jury pour Sound of Falling (ex-aequo avec Sirat d’Oliver Laxe), a livré un hommage aux voix féminines: «Je dédie ce prix aux femmes. Vos voix sont importantes. Ne renoncez pas à vos projets.» Son film historique et sensoriel à la fois parcourt les traumatismes générationnels transmis entre femmes d’une même lignée, dans une ferme isolée du nord de l’Allemagne.

Le Brésil doublement honoré

Avec L’Agent secret, le cinéaste brésilien Kleber Mendonça Filho a remporté le Prix de la mise en scène pour ce faux film d’espionnage plongé dans les ombres de la dictature militaire. Wagner Moura, acteur principal du film, a été salué pour son interprétation habitée et dense, recevant le Prix d’interprétation masculine. «Cannes est tout simplement la cathédrale du cinéma dans le monde. Le Brésil est un pays plein de beauté et de poésie, et je suis très fier d’être ici pour accepter ce prix.»

Première irakienne à Cannes

Pour la première fois dans l’histoire du festival, un film irakien a remporté la Caméra d’or. The President's Cake de Hasan Hadi, présenté à la Quinzaine des cinéastes, suit une fillette obligée de faire un gâteau pour l’anniversaire de la mort de Saddam Hussein, sous menace de mort ou de prison. «Une œuvre qui nous a hantés comme un fantôme», a confié la présidente du jury, Alice Rohrwacher.

Les éternels frères Dardenne

John C. Reilly a pour sa part offert une parenthèse différente. Invité à remettre le Prix du scénario, il a entonné La Vie en rose, guitare en main, avant d’annoncer les lauréats: les frères Dardenne, sacrés pour Jeunes Mères, un récit choral sur cinq femmes confrontées à la maternité précaire.

Déjà auréolés de deux Palmes d’or, Luc et Jean-Pierre Dardenne ont ainsi une nouvelle fois laissé leur trace à Cannes avec leur septième prix en dix sélections, dans une quête, une fois de plus, de l’humain. Fidèles à leur style sobre et engagé, les frères belges demeurent les maîtres d’un cinéma social et ancré dans la réalité. Ils confirment une fois de plus leur place au top du palmarès cannois, devant des figures telles que Francis Ford Coppola ou Ken Loach. Leur filmographie, marquée par une attention constante aux laissés-pour-compte, a déjà révélé des talents comme Émilie Dequenne (Rosetta, 1999) et Olivier Gourmet (Le Fils, 2002), tous deux primés pour leur interprétation.  

Un palmarès à l’image du monde

Cette 78ᵉ édition a finalement honoré 8 films sur les 22 en compétition. La sélection a été marquée par une diversité géographique forte, avec 14 pays représentés et une participation féminine en légère hausse, avec 7 réalisatrices en lice. À travers tous les genres, des œuvres venues d’Irak, du Brésil, d’Iran ou d’Allemagne ont livré des récits forts autour de la résistance, l’introspection et l’émancipation.

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