
Le Fonds monétaire international veut prêter 3 milliards de dollars au Liban. Sur le papier, c’est une «opportunité» pour remettre à flot un pays ruiné. Dans la réalité, c’est une blague cruelle. Le Liban fait face à un gouffre de 85 milliards de dollars, un trou abyssal dû à des décennies de gabegie, de clientélisme et d’une gestion publique aussi cynique qu’incompétente. Face à ce désastre, le FMI propose trois piécettes et un effaceur.
Mais le plus choquant n’est pas le montant. C’est la philosophie.
Le FMI, institution habituellement connue pour ses plans d’austérité drastiques, pour ses attaques récurrentes contre les services publics, les subventions, les pensions, l’école, la santé, etc., semble ici prendre un chemin inédit: exonérer l’État libanais. L’État, pourtant principal architecte de la faillite, devient dans cette pièce absurde un figurant innocent. Ses dettes colossales, qu’il n’a pas remboursées à la BDL et aux banques, sont rebaptisées «pertes du secteur financier», un tour de passe-passe comptable qui revient à faire peser la faute, et la facture, sur les déposants et le système financier.
Et pendant ce temps, une partie du gouvernement ne se creuse même pas la tête pour réformer ou restructurer l’État de façon sérieuse. Non. Son obsession, c’est de trouver des astuces pour gratter quelques milliards, et toujours sur le même dos: celui des banques et des citoyens. Un jour, on nous explique qu’il faut annuler tous les intérêts perçus depuis 2015 sur les dépôts en dollars. Un autre jour que les épargnants ayant converti des livres en dollars après 2019 ne sont pas éligibles à être remboursés. Ben voyons!
Le lendemain, ce sont ceux qui ont remboursé leur crédit au taux officiel de 1.500 livres pour un dollar qui sont visés: on voudrait maintenant leur infliger un redressement rétroactif, comme s’ils étaient coupables d’avoir respecté la loi à l’époque. Chaque jour une nouvelle injustice, un nouvel amateurisme, une nouvelle absurdité. Mais jamais une remise en cause des vrais responsables. Jamais une réduction des dépenses publiques incontrôlées. Dans l’électricité par exemple. Jamais une réforme fiscale équitable. On racle les poches des gens ordinaires pendant qu’on évite soigneusement celles de l’État profond.
Et ce n’est pas nouveau. Cela fait plus de trois ans qu’à Ici Beyrouth nous tirons la sonnette d’alarme: les recettes du FMI, si elles sont appliquées telles quelles, vont détruire le système financier libanais. Elles ne touchent pas l’État, elles ne traitent pas le cœur du problème: elles sacrifient le secteur privé, les banques, les entreprises, les déposants. En d’autres termes, ceux qui tiennent encore le pays debout. Le FMI veut faire table rase en prenant les banques pour boucs émissaires, au lieu de restructurer l’État, de combattre la corruption, de réformer l’administration publique, ou d’imposer une fiscalité plus juste.
Et pendant ce temps, l’État, le vrai fautif, s’en sort sans une égratignure. Aucun audit contraignant. Aucun recouvrement. Aucune confiscation de biens mal acquis. On demande au peuple de sacrifier ses économies, mais pas à la classe politique de rendre des comptes. Où est la justice?
Il y a pourtant une autre voie. Et elle a été exprimée tout récemment par Morgan Ortagus, émissaire spéciale des États-Unis pour le Liban. Selon elle, Le Liban pourrait se passer du FMI s’il retrouvait un minimum de crédibilité politique et de stabilité sécuritaire. Il pourrait alors attirer des dizaines de milliards d’investissements, notamment des pays du Golfe. En clair: si le Hezbollah rendait ses armes, le Liban changerait de dimension.
Voilà le cœur du sujet. Le Liban n’a pas besoin d’un prêt symbolique et conditionné de 3 milliards de dollars qui enterre la justice et liquide les droits des déposants. Le Liban a besoin de réformes politiques, de souveraineté retrouvée et de crédibilité institutionnelle pour attirer des flux d’investissements réels et durables. L’argent existe. Les intentions existent. Les pays arabes du Golfe, l’Europe, l’Asie même, seraient prêts à miser sur le Liban, à condition qu’il redevienne un pays gouvernable.
Alors pourquoi brader notre avenir pour une aumône toxique? Pourquoi avaliser un plan qui blanchit l’État et détruit les citoyens? Pourquoi s’accrocher au FMI quand une porte bien plus vaste pourrait s’ouvrir, à condition de faire le vrai ménage politique et sécuritaire?
Refuser le FMI, ce n’est pas du populisme. C’est du réalisme. C’est refuser de tourner la page tant que les vrais coupables sont blanchis et que les victimes paient. C’est refuser de troquer notre dignité nationale contre un prêt aussi humiliant qu’inefficace.
Oui, le Liban peut se passer du FMI. Mais à une condition: cesser de se passer de courage.
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