Maison Pierre Loti: chef-d'œuvre fantasque rouvert à Rochefort
Cette photo prise le 12 juin 2025 montre la salle Renaissance avec des tapisseries flamandes du XVIIe siècle, un plafond à caissons et une grande cheminée en pierre, utilisée par Pierre Loti pour organiser de fastueux dîners dans la Maison Pierre Loti. ©Philippe LOPEZ / AFP

Fermée durant treize ans, la maison-musée de l’écrivain et marin Pierre Loti a rouvert ses portes à Rochefort après une spectaculaire restauration. Ce lieu unique, inspiré par les voyages et les obsessions de l’auteur, plonge les visiteurs dans un univers aussi baroque que personnel.

Une mosquée, une pagode, un salon turc, une chambre arabe, une salle chinoise… Derrière une façade banale de Rochefort, dans l’ouest de la France, l’extraordinaire maison de l’écrivain Pierre Loti, restée porte close durant 13 ans, invite de nouveau les visiteurs au voyage.
Considéré comme une figure de proue de l’exotisme littéraire, Pierre Loti a signé 61 livres dont Pêcheur d’Islande, Mon frère Yves ou Ramuntcho.
Fermée au public en 2012 en raison de son état de péril, après quatre décennies de fréquentation, sa maison a été restaurée de fond en comble depuis 2020. Un chantier de 13,5 millions d’euros (hors taxes), dont le financement par la municipalité et des collectivités locales, l’État et du mécénat a été amorcé par la Mission Patrimoine de l’animateur et écrivain Stéphane Bern.
Une trentaine de corps de métiers ont œuvré jusqu’à la dernière minute pour reconstituer l’état de la maison en 1923, à la mort de Pierre Loti. Le lieu a rouvert mardi, avant une inauguration officielle décalée à septembre.
Julien Viaud, de son vrai nom, est né dans cette demeure familiale en 1850. Personnage fantasque «aux mille visages», il fut officier de marine, écrivain, artiste, grand voyageur, académicien…
L’homme, si célèbre en son temps que la République lui offrit des funérailles nationales, est lui-même responsable de la précarité de la bâtisse, qui accueillit autrefois le tout-Paris dans un décor extravagant où il se mettait en scène pour des fêtes qui détonnaient dans l’austère port protestant.
Terrifié par la mort et la perte de souvenirs, il métamorphose l’habitation au fil de ses permissions, entre 1870 et le début du XXe siècle, abattant des plafonds, cassant des murs, ajoutant des colonnes, de la céramique… et recréant dans chaque pièce les ambiances fantasmées de ses nombreux périples.

Le salon bleu, dans un style bourgeois, contraste avec une salle Renaissance aux allures de château, où l’écrivain organisait des fêtes costumées. La salle chinoise et la pagode japonaise, deux pièces qui avaient disparu, font partie des nouveautés de la maison restaurée, librement inspirées de l’univers asiatique de l’époque.
La mosquée, pièce emblématique des lieux, impressionne avec son plafond en bois sculpté du XVIIIe siècle, rapporté de Syrie. Le style Empire de la chambre des abeilles, auparavant fermée au public, est désormais à découvrir.
Une demeure à l’image d’une personnalité aussi torturée qu’extravagante. «Mon mal, j’enchante», telle était la devise de cet homme qui avait «une peur absolue du néant et amassait beaucoup d’objets», explique Claude Stefani, conservateur des musées municipaux à Rochefort.
Depuis 1969, la Ville est propriétaire de la maison, devenue musée quatre ans plus tard et classée Monument historique en 1990.
«C’est un bijou!», s’exclame le maire, Hervé Blanché, qui table sur plus de 30 000 visites annuelles. Elles ont repris exclusivement sous la conduite d’un guide, pour une durée d’une heure et demie et par groupe de 10 personnes maximum, étroitesse des lieux oblige.
Le parcours a été structuré en «cohérence chronologique» avec la vie de l’écrivain voyageur, «avec un éclairage discret imitant la lueur des bougies (...) dans une ambiance plus proche de celle qu’a connue Loti, qui n’a jamais voulu installer l’électricité», souligne le conservateur.
Plusieurs associations, dont le Conseil de coordination des organisations arméniennes de France, l’Union des étudiants juifs de France ou SOS-Racisme, avaient demandé en 2018 que cette habitation soit retirée de la liste des monuments en péril devant bénéficier de l’initiative Loto du patrimoine visant à récolter de l’argent, accusant l’auteur de nourrir «une haine d’une violence inouïe à l’égard des Arméniens et des juifs» dans certains écrits.
Le président français Emmanuel Macron avait alors défendu l’écrivain : «Il y a dans l’œuvre de Pierre Loti des pages magnifiques» et «des propos qui seraient condamnables s’ils étaient tenus dans le débat public contemporain», avait-il dit. Mais «il ne faut pas avoir des combats anachroniques», avait-il ajouté, en estimant que la littérature de Loti n’était «pas réductible à la polémique qui lui a été faite».

Par Amélia BLANCHOT / AFP

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