Mécènes littéraires: passion, prestige et soutien à l’ombre
La littérature survit grâce à des mécènes passionnés. ©Shutterstock

La littérature ne nourrit plus son monde, sauf à croiser un mécène. Quelques passionnés, souvent issus du monde du luxe, s’engagent pour récompenser et faire vivre les écrivains d’aujourd’hui.

La littérature, «ça ne paye pas», comme le dit un académicien, sauf à tomber sur un mécène, espèce rare dans ce secteur qui en aurait besoin.
«Ça ne paye pas, ou ça ne paye plus», puisque «peu d’écrivains vivent bien de leur plume. C’est même un euphémisme de le formuler ainsi, car la plupart tirent le diable par la queue», écrivait Antoine Compagnon, de l’Académie française, dans son essai La littérature, ça paye! en 2024.
Le problème n’est pas nouveau. Albert Camus, qui vivait très chichement à Paris en 1944, avait eu l’idée de fabriquer pour un mécène bibliophile un manuscrit de L’Étranger… après la parution du roman. Ce curieux objet a été vendu 656.000 euros aux enchères en 2024.
Le bruit court, sans preuve toutefois, que quelques auteurs tenus en très haute estime mais qui vendent peu se livrent encore à ce commerce, en toute discrétion.
«Je n’avais aucune idée de la misère dans laquelle vivent beaucoup d’écrivains», raconte Laurence Viénot, qui avait lancé son salon littéraire en 2008, dans son appartement à Paris, à l’issue d’une carrière lucrative dans le conseil en recrutement.

«Mission» du luxe

«Je me suis demandé combien offrir aux écrivains. En réfléchissant aux avocats ou aux consultants, je me suis dit: 500 euros de l’heure. Quand ils apprenaient qu’ils gagneraient 1.000 euros pour deux heures, ils faisaient des yeux ronds. Je n’avais aucun mal à en convaincre!», explique-t-elle à l’AFP.
Elle a ensuite créé le prix Naissance d’une œuvre, remis depuis 2022, et destiné aux auteurs de quatre, cinq ou six romans. Il est doté de 20.000 euros grâce au soutien d’un autre mécène, Vincent Gombault, hôtelier en Haute-Savoie.
Cette profession aime les prix littéraires. Rien qu’au mois de juin, elle est à l’initiative de deux d’entre eux.
Le groupe hôtelier Evok a créé, en 2022 également, le prix Evok Collection. À gagner: 1.500 euros, deux nuits dans une suite, un jéroboam de champagne Amour de Deutz gravé au nom de l’auteur, et d’autres cadeaux…
«Ça fait partie de nos missions dans le luxe, d’accompagner des écrivains et des artistes. Et en même temps, c’est très intéressant pour nous d’ouvrir nos hôtels à la culture, de créer des événements où participent nos clients», estime le directeur général Emmanuel Sauvage.
Julie Marang, copropriétaire d’un autre groupe hôtelier parisien familial, Paristory, est quant à elle derrière le prix littéraire de la Passion, remis depuis. Il offre six nuits au Grand Hôtel du Palais-Royal.
«Je suis heureuse, à mon tout petit niveau, d’avoir une initiative en faveur de la lecture et des écrivains», explique-t-elle. «La littérature a ses auteurs stars. Elle a ses livres qui tout à coup ressortent du lot. Mais sinon, c’est quand même compliqué. Un prix permet de se faire connaître.»
«Les prix sont nécessaires, plus que jamais», confirme Maxime Catroux, la vice-présidente de la Fondation Pierre Bergé – Yves Saint Laurent.

Mécène mécontent

Cette Fondation avait repris en 1999 le concept du prix Novembre, abandonné par un premier mécène mécontent, après le choix du jury de couronner Michel Houellebecq en 1998. Il est devenu le prix Décembre, doté de 15.000 euros, et remis en octobre ou novembre.
C’est devenu l’un des prix les plus convoités des écrivains, mêlant qualité littéraire et dotation élevée. Pour la Fondation, «il n’y a pas d’autre but que d’aider la création littéraire et de lui offrir notre compagnonnage le mieux possible, le plus longtemps possible», dit Mme Catroux.
Il y a plus convoité encore, parmi les dizaines de prix littéraires avec mécènes (sur plus de 600 au total) distribués en France: celui de la Fondation Cino del Duca. Récompensant chaque année l’ensemble d’une œuvre, il est doté de 200.000 euros, un montant record.
Il a été décerné en mai au Franco-Algérien Boualem Sansal. Emprisonné en Algérie depuis novembre, comment touchera-t-il cette somme? «Les modalités de versement de la dotation sont en cours de discussion», indique à l’AFP la Fondation.

Par Hugues HONORE / AFP

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