
Depuis les frappes israéliennes sur le site nucléaire de Natanz en Iran, le 13 juin, une question revient avec insistance: que faut-il exactement toucher dans une installation nucléaire pour provoquer une fuite radioactive ou chimique? Et surtout, les frappes récentes ont-elles frôlé ce seuil critique?
Pour comprendre les risques, il faut d’abord comprendre ce qu’est une centrale nucléaire et ce que l’Iran possède réellement.
La plupart des sites nucléaires iraniens ne sont pas des centrales de production d’électricité, comme celle de Bouchehr, qui est l’unique centrale nucléaire opérationnelle. Cela signifie que c’est la seule installation qui produit actuellement de l’électricité à partir de l’énergie nucléaire et qui est connectée au réseau national iranien.
Les autres sont des installations techniques comme Natanz, Fordo, Arak ou Ispahan, destinées à enrichir l’uranium (Natanz et Fordo), convertir des matières nucléaires (Ispahan), ou mener des recherches (Arak, qui abrite un réacteur à eau lourde, pour l’instant non actif).
La conversion
C’est la première étape du cycle nucléaire. L’uranium extrait des mines est transformé en une poudre appelée «yellowcake», puis converti en gaz, l’hexafluorure d’uranium (UF6). Ce gaz est nécessaire pour l’étape suivante, à savoir l’enrichissement. En Iran, cette conversion se fait notamment à l’usine d’Ispahan.
L’enrichissement
Ce processus consiste à augmenter la proportion d’un isotope particulier de l’uranium, l’uranium-235, qui est le seul capable de provoquer une réaction nucléaire en chaîne. Cela se fait à l’aide de centrifugeuses, comme celles de Natanz ou Fordo. Plus le taux d’enrichissement est élevé, plus l’uranium peut être utilisé à des fins militaires. L’Iran enrichit actuellement jusqu’à 60%, un seuil très proche des 90% nécessaires pour une arme nucléaire.
La production d’électricité
C’est le rôle d’une centrale nucléaire classique, comme celle de Bouchehr. L’uranium enrichi est utilisé comme combustible dans un réacteur. La chaleur dégagée par la fission des atomes chauffe de l’eau, produisant de la vapeur qui fait tourner des turbines pour générer de l’électricité. Bouchehr est la seule centrale iranienne actuellement en service.
Par ailleurs, à Natanz, par exemple, des milliers de centrifugeuses tournent à grande vitesse pour séparer les isotopes de l’uranium. Ce processus utilise un gaz hautement toxique: l’hexafluorure d’uranium (UF6). En cas de fuite, ce gaz peut réagir avec l’humidité de l’air et produire de l’acide fluorhydrique, extrêmement corrosif pour les voies respiratoires et les tissus humains.
Les zones sensibles d’un site nucléaire
Les parties les plus sensibles d’un site nucléaire sont donc:
- Le cœur du réacteur, s’il s’agit d’une centrale active (comme Bouchehr). Il contient du combustible irradié, et une frappe directe pourrait libérer des radionucléides dans l’atmosphère.
- Les cascades de centrifugeuses, comme à Natanz ou Fordo. Si elles sont endommagées, elles peuvent libérer de l’UF6 ou d’autres composés chimiques dangereux.
- Les systèmes de confinement et de ventilation, qui empêchent normalement les substances toxiques de s’échapper. Une frappe indirecte qui détruit ces systèmes peut suffire à provoquer une fuite interne.
Une catastrophe de type Tchernobyl
Selon l’AIEA, les frappes israéliennes de Natanz ont endommagé la partie en surface de la centrale, mais aucune fuite radioactive n’a été détectée à l’extérieur du site. Toutefois, les experts soulignent que les risques augmentent à chaque nouvelle attaque, surtout si les frappes deviennent moins précises ou visent des installations plus sensibles comme Fordo, enfouie sous la montagne, ou Bouchehr, qui contient du combustible actif.
Le directeur de Rosatom, la société d’État russe de l’énergie nucléaire, Alexeï Likhatchev, a averti qu'une attaque contre la centrale nucléaire iranienne de Bouchehr pourrait provoquer une catastrophe semblable à celle de Tchernobyl. Il a aussi déclaré que la situation autour de la centrale présentait de grands risques. «Si la première unité de production d'électricité en fonctionnement est touchée, nous aurons une catastrophe comparable à celle de Tchernobyl», a-t-il affirmé à l'agence d'État russe RIA.
Tchernobyl reste la pire catastrophe nucléaire au monde. Survenue en 1986, elle a été provoquée par l’explosion d’un réacteur dans la centrale située en Ukraine soviétique. Selon les agences de l’ONU, près de 4.000 personnes sont mortes des suites de l’exposition aux radiations.
Danger à ne pas frôler
Frapper un site nucléaire ne suffit pas, en soi, à déclencher une catastrophe. Mais cibler certaines zones sensibles, ou multiplier les frappes, peut faire basculer un conflit militaire en désastre environnemental. Dans une région aussi densément peuplée que le Moyen-Orient, les conséquences dépasseraient largement les frontières iraniennes.
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