
Que deviendrait l’Iran si le régime islamique s’effondrait? L’Artesh, armée conventionnelle nationale, aurait-elle la capacité – ou même la légitimité – d’assurer la stabilité du pays? Ou resterait-elle dans l’ombre des Pasdaran, figures dominantes du système sécuritaire actuel?
«Deux forces à la fois complémentaires et concurrentes, une dualité que l’on retrouve dans tous les aspects de la vie politique et sociale iranienne, opposant idéologie islamique et égalité républicaine» (Bernard Hourcade)
Pour la seconde fois de son histoire, la République islamique d’Iran, fondée en 1979, est en confrontation directe. Habitué à la guerre asymétrique et indirecte, l’Iran est depuis le 13 juin un belligérant direct de ce nouveau conflit qui redessine le Proche et Moyen-Orient depuis octobre 2023. Classé dans le top 20 des principales forces militaires, l’Iran se distingue par une structure de défense bicéphale: le Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI ou IRGC) et l’Artesh, son armée régulière.
Une armée classique bousculée par la révolution islamique
L’origine de l’Artesh remonte à l’époque des Pahlavi. Modernisée sous le règne du Chah Mohammad Reza Pahlavi avec le soutien des États-Unis, elle ambitionnait de faire de l’Iran une puissance régionale.
Le secrétaire d'État américain Henry Kissinger (G) en compagnie du Chah d'Iran, Mohammad-Réza Chah Pahlavi, prise le 18 février 1975 à Zurich.©AFP
Mais après la Révolution islamique de 1979, cette institution a été profondément remaniée: purges, exils et exécutions ont frappé ses élites, le nouveau régime doutant fortement de leur loyauté. Toutefois, la guerre Iran-Irak a rapidement imposé sa réhabilitation, en raison de son expérience et de son efficacité supérieure à celle des nouvelles milices révolutionnaires.
Aujourd’hui, l’Artesh demeure une force importante en effectifs – 420.000 hommes selon les estimations de 2023 des services de renseignements américains – organisée en quatre branches classiques. Pourtant, la question de sa vocation demeure floue. Elle n’intervient ni dans la sphère politique ni dans la projection régionale. Sa mission se limite à la défense du territoire, sans vision offensive ou doctrine propre visible.
Des Pasdaran bien ancrés
En contraste, les Gardiens de la révolution dominent l’appareil militaro-politique du régime. Forts d’environ 190.000 hommes, ils monopolisent les ressources stratégiques: missiles balistiques, drones, cyberdéfense, guerre électronique et forces expéditionnaires comme la Force al-Qods. Leur influence dépasse le champ militaire: ils détiennent une part importante de l’économie nationale, contrôlent des milices à l’étranger – ou ce qu’il en reste – et pèsent sur les orientations du régime.
Cette inégalité d’influence et d’équipement interroge le rôle réel de l’Artesh. À l’écart des centres de pouvoir, souvent reléguée à la fonction de vitrine nationale, elle apparaît comme une force solide, mais bridée. Certains analystes y voient une armée «technicienne», un garant de continuité étatique, mais sans ambition autonome et surtout, sans moyens techniques modernes.
Dans un contexte d’incertitude stratégique, la question de savoir si l’Artesh pourrait émerger comme une force de stabilisation ou de transition – en cas de chute ou de mutation du régime – reste ouverte. Tout dépendra de l’origine de la chute: un renversement par le peuple, par une force étrangère ou par les Pasdaran eux-mêmes. Leur intervention hypothétique dans le jeu politique serait dans tous les cas un basculement historique pour une armée qui, jusqu’ici, n’a jamais prétendu au pouvoir.
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