L’Iran en quête d’alternatives
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La guerre israélienne nous laisse perplexes quant aux buts et aux alternatives qu’elle projette. Sinon, la portée de cette guerre aux ramifications multiples et sa prégnance suscitent beaucoup d’interrogations auxquelles il faudrait répondre si l’on veut des clefs d’interprétation et des réponses. D’ores et déjà, il faudrait situer cette étape dans le cadre de la dynamique conflictuelle impulsée le 7 octobre 2023 à la suite des massacres collectifs commis par le Hamas et ses collaborateurs dans le sud israélien.

On ne peut pas comprendre les événements en cours à moins de les situer en amont. Autrement, il faudrait souligner les liens de consubstantialité entre la politique des «théâtres opérationnels intégrés» mise au point par le régime iranien et la contre-stratégie israélienne qui devrait la défaire. Au-delà des tragédies qui s’en sont suivies, ces dynamiques ont relancé la politique régionale sur de nouvelles bases qui vont inévitablement remodeler la donne géostratégique et renouveler les enjeux politiques dans cette partie du monde. 

L’exécution sommaire du régime islamique en Iran a entièrement bouleversé le paysage politique dans une région qui n’arrive pas à arrêter des points d’ancrage. La grande question se rapporte aux retombées de cette guerre sur l’avenir de l’Iran et de ses coordonnées géopolitiques situées au croisement des sous-ensembles intercontinentaux. 

Le régime qui a été décapité a-t-il les moyens de se régénérer et de se repositionner sur l’échiquier politique tant domestique que régional, alors que sa raison d’être est remise en cause depuis des décennies, que la capacité de répression dont il se prévalait a été abattue à coup de boutoir, et que les équilibres stratégiques qu’il s’était donnés ont été pulvérisés à la suite de la destruction des relais opérationnels créés tout au long des deux dernières décennies? 

L’étape ultime de cette stratégie de démantèlement minutieusement préparée entend détruire les infrastructures nucléaires et mettre fin au régime et à sa politique impériale. La logique sous-jacente étant celle des liens organiques qui liaient la dictature totalitaire au régime de sanctuarisation nucléaire qui lui était rattaché. 

Maintenant que la destruction des infrastructures nucléaires avance de manière irréversible, nous sommes renvoyés soit à des scénarios de chaos qui remettent en question l’avenir du régime islamique ou la survie tout court de l’entité nationale iranienne. Il est trop tôt pour se prononcer sur les évolutions en cours, tout en reconnaissant que le régime a perdu ses capacités de contrôle et que la contestation a toutes les chances d’avancer rapidement avec son déclin météorique. 

Il est improbable que le régime puisse recouvrer sa légitimité idéologique en lambeaux et qu'il se maintienne par la terreur alors que son aura et ses capacités opérationnelles sont vouées au déclin. La prolongation de cette guerre asymétrique et les revers cumulés du régime vont accélérer son effondrement et décupler l’état de désenchantement qui n’a cessé d’étendre son emprise. 

Je suis fortement sceptique quant à la possibilité d’un engagement diplomatique qui renouerait avec le statu quo ante alors que la donne et les acteurs changent. D’où la nécessité de répondre à la question centrale posée: quand et comment faudrait-il s’y prendre pour saisir la nature du changement et décider des leviers dont il faudrait se servir opportunément? La réponse relève de l’issue de la guerre, de la qualité des acteurs en lice et de la congruence des procès qu’il faudrait instituer. 

La défaite du régime va osciller entre deux enjeux majeurs: celui d’une transition démocratique qui s’effectuerait moyennant des réformes structurelles et celui d’une désintégration du pays au profit des autonomies ethno-nationales et de leurs incidences sur les équilibres régionaux. Les réactions militaires en cours répercutent davantage un état de désespoir plutôt qu’une stratégie d’action cohérente. 

L’état des choses révèle de manière dramatique le caractère fallacieux de cette dictature sanguinaire et la dilapidation des centaines de milliards de dollars sur des politiques expansionnistes échouées. Alors que cette fortune générée par une économie rentière a principalement profité au régime islamique et à ses oligarques, au lieu de remédier aux graves problèmes suscités par l’appauvrissement des zones rurales, aux mouvements débridés d’urbanisation sauvage et à ses conséquences désastreuses avec la prolifération de bidonvilles monstrueux (12 millions à Téhéran seul), aux crises écologiques mortelles avec leurs effets conjugués de pauvreté massive, de chômage généralisé, de pathologies écosystémiques et d’anomie sociale diffuse. 

Il suffit de voir le cinéma iranien pour prendre la mesure des effondrements en cours. Alors que le régime politique s’abreuve de supercheries idéologiques manipulées par une mafia politique qui s’est structurée au croisement de l’institution religieuse et des nervis du régime qui se sont saisis de l’état de guerre et de mobilisation permanente pour affermir leurs contrôles et étendre leurs privilèges. 

Le système s’est effondré et il est inutile de conjecturer sur ses chances de survie alors que l’érosion est évolutive et va dans tous les sens. Toute observation devrait se centrer sur les entropies en cours et leurs topiques, les chances d’une transition plus ou moins pacifique et celles des coalitions réformistes qui peuvent gérer des contextes de transition. Alors que rien ne s’y prête dans une société en état de délabrement avancé, où la violence et les rapports de force ont rendu impossible l’émergence d’un ordre constitutionnel suffisamment autonome pour forger des liens de citoyenneté et créer le terreau normatif nécessaire à l’éclosion d’une civilité propre à une société démocratique et libérale. 

Qu’en sera-t-il dans les jours et semaines à venir? Cela dépendra de l’épilogue des conflits en cours, à un moment où les capacités militaires ont été largement entamées, l’appareil répressif tronçonné à des niveaux divers et la légitimité du régime et de ses récits fondateurs entièrement discréditée. L’isolement international du régime, pourtant considéré comme partenaire incontournable dans le nouvel axe néo-totalitaire, atteste le caractère frauduleux de l’ordre international alternatif et de ses assises stratégiques et normatives. La défaite militaire et ses effets délétères sont associés à la fin des mythes et aux misères d’une société renvoyée sans cesse à ses malheurs et à ses engendrements continus.

 

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