Léa Massari, l’élégance pudique du cinéma européen: mémoire silencieuse du grand écran
L'actrice italienne Léa Massari et l'acteur français Laurent Terzieff (à droite) sont photographiés sur le tournage du film «La flambeuse» réalisé par Rachel Weinberg, le 3 octobre 1980 à Paris. ©AFP

Actrice franco-italienne des années 1960 et 1970, Léa Massari est décédée à Rome à l’âge de 91 ans. Figure discrète et remarquable du cinéma d’auteur, elle laisse derrière elle une œuvre existentiellement humaine et une trace indélébile.

Star délicate et inoubliable du grand écran, Léa Massari, née Anna Maria Massatani, est morte à Rome à 91 ans. L’actrice, italienne jusqu’au bout des doigts, a séduit le public français par son interprétation tout en retenue et son aura énigmatique. Sa filmographie est surtout inscrite dans l’exigence, la pudeur et un charme fascinant. De L’Avventura à Le Souffle au cœur, elle a porté à l’écran un idéal incontestable du cinéma d’auteur européen, vrai, dramatique et humain.

Une grande présence révélée par l’absence

Née à Rome le 30 juin 1933, Anna Maria Massatani adopte le pseudonyme de Léa Massari à la mort de son fiancé, dont elle adopte le prénom en guise d’hommage et de fidélité du souvenir. Dès les années 1950, elle se fraie un chemin assertif dans le cinéma italien. En 1960, sa carrière prend un autre tournant avec L’Avventura de Michelangelo Antonioni. Dans ce film culte, elle incarne Anna, une jeune femme qui s’éclipse énigmatiquement au tout début de la trame, laissant ses proches et le spectateur face à un vide incompréhensible. Sa présence à l’écran fait son effet. Le charme a opéré. Ce rôle grave son image dans la mémoire du cinéma moderne. Éphémère, l’intensité de sa présence affiche une actrice rare et mystérieuse à l’écran.

«La plus française des actrices italiennes»

En France, Léa Massari est désormais une des grandes figures du cinéma d’auteur. Elle côtoie Alain Delon dans L’Insoumis d’Alain Cavalier en 1964, puis huit ans plus tard dans Le Professeur de Valerio Zurlini. En 1971, elle tient un rôle bouleversant dans Le Souffle au cœur de Louis Malle. Elle y personnifie une mère prise dans les engrenages d’une relation incestueuse avec son fils adolescent. Le rôle est difficile et scandaleux. Léa Massari l’incarne résolument, affichant le large éventail de l’âme humaine, sans pour autant tomber dans la provocation.

Dans Les Choses de la vie de Claude Sautet en 1970, elle gagne définitivement le cœur du public français. Elle y joue Hélène, femme délicate et sensible dont l’amour se froisse face au silence de Michel Piccoli, dont le cœur se dévoile sur grand écran face à Romy Schneider. Léa Massari incarne ainsi une féminité mélancolique, blessée, tendre et fidèle. Elle collaborera encore avec René Clément, Henri Verneuil, Claude Pinoteau et Francesco Rosi, dans des films qui marquent encore les esprits comme une trace d’un cinéma aux traits humains. Ses derniers pas sur grand écran remontent à Secrets d’État en 1990.

Un magnétisme réservé et inoubliable

Léa Massari ne s’affiche pas en brouhaha. Son jeu est au contraire, discret et émotionnel, sans être dans l’excès, au contraire. Son regard profond, sa voix feutrée, ses mouvements délicats font d’elle une actrice mystérieuse, profonde, présente. Elle rayonne ainsi dans les rôles de femmes effacées ou disparues, les écorchées vives, les blessées, les vulnérables qui tiennent pourtant la route. Sensuelle, discrète, elle redéfinit les normes de la beauté à l’écran. Son charme trouve un écho distinctif dans le cinéma d’auteur des années 1960 et 1970.

Loin du star-system, elle privilégie les rôles minutieux et laborieux, mettant sans cesse sur la planche une éthique de l’art et non pas une quête de célébrité. C’est cette discrétion sauvage, qu’elle adoptera avec entêtement jusqu’à son retrait du cinéma dans les années 1990, qui contribue à dessiner le portrait d’une légende aussi bien sur grand écran que dans la vie.

Son départ pose un voile noir translucide sur un pan du cinéma européen. Son absence, éternelle cette fois-ci, laisse derrière elle un souffle doux-amer. Elle emmène dans sa malle des bobines de films où l’intime et le politique se croisaient sur l’écran, où la retenue était synonyme de force, où les silences imposaient un respect, celui d’une ère révolue.

L’actrice fut la muse d’Antonioni, de Louis Malle, de Sautet. Elle fut l’incarnation de la femme silencieuse au visage révélateur et pudique de celle qui regarde, celle qui écoute, celle qui se tait et tait les histoires embobinées au fil du temps.

 

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