Quand Soueida réveille les failles libanaises: quel danger pour le pays?
©Ici Beyrouth

Alors que les violences à Soueida ont fait plus de 500 morts, leurs répercussions se font déjà sentir de l’autre côté de la frontière. Au Liban, des municipalités prennent des mesures de sécurité exceptionnelles ciblant les personnes «étrangères», notamment syriennes, révélant un climat de tension nourri par la peur des infiltrations et l’impuissance de l’État à assurer la stabilité.

Les affrontements entre groupes druzes et forces gouvernementales appuyées par des milices tribales dans la ville syrienne de Soueida ont fait, depuis dimanche, plus de 500 morts. Parallèlement à cette flambée de violence sans précédent dans cette région du sud syrien, plusieurs municipalités libanaises ont pris des mesures préventives visant les étrangers, notamment syriens, installés dans leurs localités. Ces décisions reflètent un climat de peur croissante, nourri par les risques de débordement du conflit syrien et la méfiance envers des groupes armés potentiellement actifs sur le territoire libanais.

Des mesures locales en réponse à un climat de méfiance

Depuis quelques jours, des municipalités à travers le pays interdisent la circulation nocturne des étrangers, prohibent les rassemblements et exigent des résidents libanais qu’ils déclarent l’identité de leurs locataires. Ces restrictions locales ont été adoptées en l’absence de consignes centralisées du ministère de l’Intérieur, comme l’indique Haytham Hamzé, président du conseil municipal de Abey-Aïn Drafil.

«Certains Syriens qui ont longtemps habité dans notre village et y travaillaient ont été identifiés sur des photos circulant sur WhatsApp, en tenue militaire, tenant des propos menaçants», affirme-t-il. «L’ambiance est tendue en raison de ce qui se passe en Syrie et pourrait entraîner des réactions violentes. Nous voulons éviter les altercations, pour garantir la sécurité de tous, Libanais comme Syriens.»

Selon lui, ces initiatives municipales visent à prévenir les tensions avant qu’elles ne dégénèrent, dans un contexte où les communautés druzes libanaises, notamment, vivent avec inquiétude les répercussions des violences en Syrie.

Danger sécuritaire ou politique?

Face à la montée des tensions internes et régionales, le député du Parti socialiste progressiste (PSP), Marwan Hamadé, met en garde contre une mauvaise lecture des menaces pesant sur le Liban. Pour lui, le véritable risque ne vient pas des groupes islamistes – syriens ou autres – infiltrés sur le territoire libanais, mais des fractures politiques internes et de la persistance d’armements parallèles.

«Il ne faut pas confondre entre la présence de quelques cellules syro-libano-palestiniennes, plus ou moins intégristes, et la situation globale du pays, bien plus préoccupante», affirme-t-il lors d’un entretien accordé à Ici Beyrouth. «Les événements de Syrie ont, plus ou moins, cristallisé les forces qui veulent garder leurs armes dans leur attitude intransigeante», poursuit-il.

«Comme, il y a quelques années, on a trouvé prétexte dans les fermes de Chebaa, maintenant, ce sont les événements de Soueida qui servent d’alibi au maintien des armes.»

Pour ce qui est des groupuscules, l’armée libanaise et les renseignements, sont capables de les réprimer et les démembrer, estime M. Hamadé. «Nous avons des exemples quotidiens là-dessus, comme les saisies d’armes à Btebyat, ou dans le nord du pays.»

«Je pense que l'armée libanaise est capable de contenir le danger islamiste, mais elle prendrait de grands risques dès l'instant où la division politique sur l'interprétation de la 1701 et le retrait des armes pour les confier à la seule armée libanaise va se poser d'ici quelques semaines ou au plus tard quelques mois, comme l'a laissé entendre Tom Barrack», l’envoyé américain.

«Ce n’est pas la menace islamiste qui nous met en péril – elle est diversifiée et limitée. Ce qui nous expose réellement au danger, c’est l’existence d’une armée parallèle – celle du Hezbollah – et l’absence de consensus sur le monopole de la force légitime», résume M. Hamadé.

Tensions sociales et détenus syriens: un cocktail explosif?

M. Hamadé évoque également la réunion à laquelle il a pris part jeudi au ministère de la Défense, aux côtés des députés de son bloc parlementaire, en présence du chef du PSP, Teymour Joumblatt. Cette rencontre a visé à coordonner les mesures préventives et à contenir les tensions nées des récents événements à Soueida. «Il y a eu un véritable déchaînement des passions au Liban: d’une part, la frustration de la population druze du Liban qui assistait, impuissante, à ce qui se passait au Jabal el-Arab et d'autre part, la réaction de l'opinion publique sunnite qui est très sensibilisée à ce qui se passe en Syrie.»

Le blocage de la route de Dahr el-Baidar mercredi en est une illustration.

«Je ne crois pas à une explosion générale, mais il faut empêcher que des incidents ponctuels ne dégénèrent. L’armée libanaise est suffisamment consciente et compétente pour assurer cette sécurité intérieure», affirme-t-il.

Quant à la question des détenus syriens en prison au Liban, appartenant majoritairement à des groupes islamistes, elle resurgit dans ce climat chargé. «Le conseil le plus judicieux serait de remettre à la justice syrienne tous ceux qui n’ont pas commis de crimes graves contre des Libanais – notamment les forces de sécurité ou les forces armées – afin de désengorger nos prisons», avance M. Hamadé, plaidant pour un tri judiciaire rigoureux.

 

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