
Avant toute intervention destinée à l’exploration de l’archéologie sous-marine, la grande question demeure: faut-il extraire ces vestiges?
«Dans certains cas, notamment pour une ville engloutie, on choisit la prudence et le respect du site, ne touchant à rien pour préserver son intégrité», explique Marcos Hado, expert en biologie sous-marine. Toutefois, «si des objets précieux comme des statues sont découverts, ceux-ci sont retirés avec soin pour être conservés dans des musées, où ils pourront être protégés et exposés au public», poursuit-il.
Pour les éléments architecturaux volumineux, comme les colonnes ou les blocs massifs, la règle est généralement de les laisser en place. À moins qu’ils ne portent des inscriptions ou des marques uniques, leur extraction n’est ni nécessaire ni justifiée.
Une fois la décision de sortir un artefact de l’eau prise, chaque détail est étudié minutieusement: taille, poids, état de conservation. L’État fait alors appel à des spécialistes en archéologie sous-marine pour relever les débris, superviser les opérations et garantir le respect des protocoles.
Dans les pays méditerranéens, la collaboration avec les pêcheurs et plongeurs locaux est une pratique courante et précieuse. En gagnant leur confiance, les archéologues recueillent souvent des informations cruciales, notamment sur des épaves peu visibles.
La technologie complète ce travail de terrain. Grâce aux magnétomètres, les anomalies magnétiques des épaves enfouies sont détectées, ce qui est révélateur de leur présence sur les fonds marins. Par ailleurs, les techniques sophistiquées utilisées par les pêcheurs pour localiser les bancs de poissons peuvent souvent servir de moyen indirect pour guider les recherches.
Mais même lorsque l’épave est localisée, les défis sont nombreux. Un site bien conservé peut offrir une fenêtre exceptionnelle sur le passé: inscriptions marchandes, paniers organiques, objets fragiles… Ces trésors exigent une expertise pointue, car l’archéologie sous-marine est une discipline exigeante, comme le signale M. Hado.
Concernant les outils de base, ceux-ci incluent généralement une drague sous-marine ou un aspirateur à sédiments pour dégager le site, mais la norme mondiale est désormais la photogrammétrie 3D. En capturant des centaines de photos sous plusieurs angles, les spécialistes recréent un modèle tridimensionnel précis de l’épave, garantissant la conservation virtuelle du site.
Il faut dire que la recherche en haute mer peut coûter entre 80.000 et 100.000 dollars par jour, plaçant l’archéologie sous-marine au rang de discipline de prestige, presque un luxe scientifique.
De la prospection à l’excavation: un chemin méthodique et réglementé
Le travail commence par des relevés systématiques, explique Ibrahim Noureddine, professeur de recherche adjoint à l’université Carleton et archéologue maritime. Les bateaux équipés de sonars scrutent le fond marin, cherchant des anomalies. Dès qu’un signal suspect apparaît, des plongeurs sont envoyés sur place pour vérifier.
Le contexte historique guide ensuite les priorités. «Par exemple, une épave romaine du Ier siècle de notre ère, bien que fascinante, est relativement commune en Méditerranée. En revanche, découvrir un navire datant de l’âge de bronze (environ 1200-1400 av. J.-C.) dans la région orientale, où un seul exemplaire est connu à ce jour (il se trouve en Turquie), serait une découverte capitale, mobilisant toutes les ressources», souligne M. Noureddine.
Les zones ciblées sont ainsi définies en fonction des références historiques, avec un «focus» sur des villes côtières au riche passé: Sidon, Tyr, Batroun, Beyrouth. «Entre Byblos et Beyrouth, de nombreuses petites communautés antiques, probablement interconnectées, méritent une étude approfondie. L’ensemble du processus est réalisé en étroite collaboration avec le gouvernement libanais», précise l’expert.
Pour le gouvernement libanais, les missions dites «de sauvetage» sont prioritaires: quand un site est menacé par le pillage ou l’érosion, une équipe d’intervention est envoyée pour préserver ce qui peut l’être.
Un chantier exigeant, sous haute surveillance officielle
Toute initiative privée doit être déclarée aux autorités avant d’intervenir. Le ministère de la Culture et la Direction générale des antiquités (DGA) supervisent l’intégralité des opérations. Chaque année, les équipes déposent des dossiers pour obtenir les autorisations nécessaires, afin de garantir la transparence et la légalité des fouilles. Et tout doit être publié dans la revue BAAL (Bulletin d'archéologie et d'architecture libanaises) du ministère, indique M. Noureddine.
Le protocole est strict: il est interdit par la loi de creuser ou d’extraire quoi que ce soit sans permis. «Même les levés sonores doivent être préalablement autorisés. Une fois le site choisi et les permis obtenus, une planification rigoureuse s’impose. On étudie les conditions météorologiques, la force des vents et les particularités géologiques avant de lancer la mission», signale-t-il.
Il affirme, dans ce contexte, que «les équipes de plongeurs sont ensuite soigneusement constituées, réparties selon leurs rôles. Le projet débute par la localisation précise du site, matérialisée par une grille ancrée et reliée au GPS, pour un relevé exact».
Préserver pour l’avenir: le soin apporté aux artefacts
L’extraction des objets est une opération délicate: les variations d’altitude et d’oxygénation peuvent rapidement détériorer les matériaux organiques ou fragiles.
«Les matériaux sensibles comme l’or, le fer ou le cuivre, qui se détériorent, se fissurent ou se déforment (en perdant de leur volume) au contact de l’air, nécessitent une manipulation extrême», note M. Hado. «On utilise alors un navire équipé pour transférer les objets directement dans de l’eau salée afin d’éviter toute oxydation», ajoute-t-il. Ensuite, «on a recours à des systèmes électrolytiques complexes pour nettoyer les objets avant de les rincer à l’eau douce», précise-t-il. La pièce est alors placée dans une chambre hermétique, baignée d’une lumière spécifique, jusqu’à son séchage complet. Ce soin minutieux et long est indispensable pour que l’objet puisse être exposé sans dommage, mais il engendre des coûts très élevés. Seules les découvertes d’importance exceptionnelle justifient ce luxe.
Le transport hors de l’eau se fait donc lentement, en conservant les artefacts dans un milieu humide jusqu’à leur prise en charge en laboratoire. Là, ils sont dessalinisés, nettoyés, séchés et stabilisés. Chaque pièce fait l’objet d’un enregistrement précis, alimentant un rapport scientifique détaillé qui sera publié. Ce long processus, parfois étalé sur plusieurs saisons, est une œuvre de patience.
Le destin des objets dépend ensuite de la DGA: certains rejoindront les réserves, d’autres seront exposés. La création prochaine d’un musée à Sidon, prévue pour 2027, offrira un nouvel écrin au patrimoine libanais.
À travers cette démarche rigoureuse, l’archéologie sous-marine se révèle un pont entre passé et présent, mêlant aventure, science et préservation. Chaque plongée est une plongée dans l’histoire, et chaque vestige retrouvé, un fragment de mémoire restitué aux hommes… sauf en cas de pillage, surtout ceux organisés…
À suivre…
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