
Alors que le Liban frôle une nouvelle guerre, avec l’arsenal du Hezbollah rapprochant dangereusement le pays d’un affrontement à grande échelle avec Israël, une question cruciale se pose : pourquoi l’État libanais continue-t-il d’abdiquer ses responsabilités constitutionnelles? Pourquoi le gouvernement refuse-t-il toujours, plus de trente-cinq ans après l'accord de Taëf, d'affirmer que le monopole des armes appartient exclusivement à l'État libanais, et à lui seul ?
La Constitution et la loi sur la Défense nationale sont pourtant claires : l’armée libanaise est l’unique institution autorisée à détenir et utiliser la force armée pour défendre le territoire. Mais ce principe reste lettre morte. Le Hezbollah, milice pro-iranienne, opère une infrastructure militaire parallèle en toute impunité — malgré les appels au désarmement et malgré l'évidence qu'un tel déséquilibre compromet gravement la souveraineté nationale.
La classe politique, elle, demeure silencieuse. Ou pire: complice.
Lors d’une table ronde à huis clos, organisée mercredi pour quelques médias locaux et internationaux, l’envoyé spécial américain Tom Barrack a déclaré en exclusivité à This is Beirut qu’il sentait chez plusieurs responsables libanais une réelle ouverture — peut-être pour la première fois depuis des décennies — à discuter de paix ou de normalisation avec Israël. Bien que le sujet reste politiquement sensible, Barrack a souligné que les échanges privés révèlent une nouvelle forme de pragmatisme et une volonté d'explorer les voies diplomatiques.
Une classe politique paralysée par la peur
Depuis des années, les gouvernements successifs traitent la question de l’armement du Hezbollah comme un sujet tabou. Intouchable. Trop dangereux pour être évoqué. Même ceux qui ne sont pas alliés au Hezbollah n’osent pas nommer clairement le problème. À la place, ils parlent de « résistance » ou d'« exception libanaise », préférant la langue de bois à l'exercice du pouvoir.
Ce silence n’a rien de stratégique. Il trahit une lâcheté politique. Car les dirigeants libanais ne sont pas neutres. Ils ont peur. Peur de provoquer le Hezbollah. Peur de froisser l’Iran. Peur de perdre leur poste, ou leur vie, en défendant la souveraineté de l'État.
Un silence assourdissant sur la paix
Tout aussi révélateur est le refus des autorités libanaises d’aborder publiquement la question de la paix avec Israël. Alors que plusieurs pays arabes — Égypte, Jordanie, Émirats, Bahreïn, Maroc — ont normalisé leurs relations avec Tel-Aviv, le Liban persiste dans une posture idéologique figée, héritée d’un autre temps. Aucun débat. Aucun dialogue parlementaire. Pas même un début de réflexion nationale. Oser proposer l'ouverture d'un canal diplomatique avec Israël reste un tabou absolu.
Et pourtant, ce refus a un coût immense.
Chaque escalade militaire, chaque roquette tirée depuis le territoire libanais ou chaque tension à la frontière sud expose le pays à une guerre qu’il n’a pas choisie. Et chaque occasion manquée d'entamer un dialogue ou une désescalade isole davantage le Liban d'un monde arabe en pleine recomposition.
Soyons clairs : la paix ne peut être imposée à sens unique. Israël a sa part de responsabilité. Mais le refus du Liban d'envisager la paix, même comme hypothèse, même sous conditions, est une capitulation intellectuelle autant que politique.
Du Liban à la Syrie : une région en recomposition
Lors de cette même table ronde, Tom Barrack a élargi la discussion à la dynamique régionale en mutation. Plusieurs thèmes majeurs ont été abordés :
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Le désarmement du Hezbollah, avec l’idée d’une feuille de route progressive visant à rendre à l’État le monopole de la force. Barrack a notamment déclaré : « Le calendrier du désarmement du Hezbollah est défini par vos voisins. »
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Les événements récents à Sweida, en Syrie, où des soulèvements communautaires ont ébranlé l'autorité du régime.
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L'émergence d'un nouveau régime syrien en gestation, laissant entendre que les États-Unis se préparent déjà à l'après-Assad.
Ces discussions replacent le Liban au cœur des enjeux géopolitiques du Proche-Orient, qu'il s'y prépare ou non.
Entre fiction juridique et réalité politique
La situation actuelle est tragiquement absurde : un État qui a des lois mais ne les applique pas, des frontières qu'il ne contrôle pas, une armée qu'il n'ose pas autonomiser, et un peuple à qui il refuse de dire la vérité.
Les Libanais méritent mieux. Mieux que l’ambiguïté perpétuelle, les demi-mesures et la peur. Ils méritent des dirigeants qui assument la loi, même quand elle dérange. Ils méritent un pays où les décisions de guerre et de paix reviennent à l’État, pas aux milices. Ils méritent une souveraineté pleine, pas une illusion de République.
Si le pouvoir continue d’éviter les vraies questions, ce sont les faits eux-mêmes — brutaux, incontrôlables — qui finiront par y répondre. Et ce jour-là, il sera peut-être trop tard.
Voici le lien de l’article en anglais sur This is Beirut: https://thisisbeirut.com.lb/articles/1321347/barrack-to-this-is-beirut-there-is-a-sense-of-readiness-in-lebanon-towards-normalisation-with-israel
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