
En matière de sécurité routière, le Liban s’est hissé à un niveau qui force à la fois l’indignation… et la compassion. Des voitures d’occasion et des voitures usagées qui tiennent plus du miracle mécanique que du véhicule conforme, des routes dignes d’un rallye, une signalisation en pointillés… et une législation qui, elle, semble toujours en rodage. Pourtant, les Libanais persistent à espérer que leurs dirigeants daigneront enfin passer la première: celle des lois efficaces et de leur application.
La sécurité routière commence bien avant de prendre le volant. Le parc automobile semble fonctionner en roue libre au Liban: vieux, usé et quasi exempt de tout contrôle technique.
Alors que plusieurs pays en développement encouragent la casse de véhicules âgés avec des primes à la reconversion, dès dix ans d’ancienneté, le Liban continue d’importer massivement des voitures usagées âgées de sept à huit ans — soit bien au-delà de la moitié de leur durée de vie technique.
«La majorité des véhicules usagés importés sont déjà en fin de cycle, et pourtant, ils circulent sans contrainte sur nos routes», déplore Nabil Bazerji, président de l’Association des représentants des constructeurs mondiaux d’automobiles au Liban, dans un entretien accordé à Ici Beyrouth. Il rappelle qu’en parallèle, les ventes de voitures neuves ont plongé: de 36.000 en 2019 à environ 8.000 en 2024, soit un effondrement de près de 80%. En revanche, les importations de véhicules usagés de plus de sept ans dépassent les 18.000 unités.
Voitures âgées de plus de huit ans
Dans ce paysage en déclin, Nabil Bazerji appelle les autorités à sortir de leur inertie. Il insiste sur l’urgence de faire appliquer la loi no 348 du Code de la route, qui interdit formellement l’importation de véhicules accidentés ou découpés, et impose que les voitures mises en circulation soient en bon état de marche.
Par son appel à une prise de conscience officielle, il met en lumière non seulement l’état de délabrement du secteur automobile, mais aussi les risques croissants pour la sécurité routière — sans oublier les zones d’ombre où prospèrent l’anarchie et la corruption.
Le contrôle technique est aux abonnés absents
Qu’il s’agisse de voitures d’occasion locales ou de véhicules usagés importés, aucun contrôle technique effectif n’est réellement appliqué. Les premières disposent parfois d’un historique d’entretien, les secondes arrivent de l’étranger sans aucune traçabilité ni certificat.
Dans les ports de Beyrouth et Tripoli, le contrôle technique censé être effectué par les douanes n’existe plus, depuis l’expiration du contrat avec une société privée – jamais renouvelé ni remplacé. Du côté des voitures locales, les centres de la Mécanique sont à l’arrêt, malgré des tentatives peu concluantes de les faire fonctionner avec des militaires.
«L’éclatement des responsabilités entre les ministères des Finances et de l’Intérieur bloque toute solution durable», déplore Nabil Bazerji, pointant l’inertie d’un système à bout de souffle.
Voitures d’occasion: entre réflexe social et placement financier
L’engouement des Libanais pour les voitures usagées et d’occasion ne relève pas seulement de contraintes économiques. Il s’inscrit aussi dans un comportement social profondément ancré, que certains sociologues qualifient de frustration mimétique: plutôt que d’acheter une petite citadine neuve (segment A), beaucoup préfèrent opter pour une berline de luxe d’occasion (segment D ou E), perçue comme plus valorisante, même si elle est vieillissante.
Dans un Liban en crise, où l’économie informelle domine, l’achat d’un véhicule de seconde main devient aussi une manière de donner une légitimité à l’argent liquide.
Enfin, dans un contexte d’inflation galopante, la voiture seconde main est vue comme une valeur refuge: un actif tangible que l’on peut revendre avec bénéfice, ce qui en fait un placement à la fois pratique et spéculatif.
Garantie constructeur: un droit négligé, une sécurité oubliée
Nabil Bazerji tire la sonnette d’alarme: trop de Libanais négligent les garanties mécaniques offertes par les représentants officiels des constructeurs. Ces garanties — qui s’étendent généralement de trois à cinq ans, et jusqu’à huit ans pour les batteries de voitures électriques — sont pourtant un droit fondamental du consommateur, et un gage de sécurité.
Il rappelle également l’importance des campagnes de rappel, ces mises à jour techniques organisées par les constructeurs pour corriger des défauts liés à la sécurité, comme les freins, les airbags ou la direction. Encore faut-il que le véhicule ait été acheté via des canaux officiels, condition indispensable pour en bénéficier.
En somme, si la sécurité routière commence par une prise de conscience individuelle, elle repose aussi sur l’existence d’un État fonctionnel et de règles appliquées.
Et pour couronner le tout, la loi libanaise exonère l’acheteur d’un véhicule d’occasion de la TVA: seul le premier acquéreur doit s’en acquitter. Une incitation de plus qui alimente un marché parallèle… au détriment, souvent, de la sécurité.
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