Soldes: entre bonnes affaires, illusions et survie économique
©Shutterstock

À l’approche de la fin de saison, les vitrines des boutiques libanaises se couvrent d’étiquettes rouges promettant «30%, 50%, voire 70% de réduction». Une aubaine pour les consommateurs? Un soulagement pour les commerçants? Ou un mirage dans un contexte économique toujours aussi fragile? Décryptage d’un rituel commercial devenu aussi complexe qu’inévitable.

Pour de nombreux Libanais, les soldes sont l’occasion rêvée d’acheter ce qui était devenu inaccessible tout au long de l’année: une paire de baskets, une robe de marque, un appareil électroménager. Les réductions constituent une bouffée d’air pour des portefeuilles à bout de souffle, étranglés par l’inflation, la dépréciation de la livre et l’érosion du pouvoir d’achat.

Mais si certains consommateurs y trouvent leur compte, d’autres se montrent prudents, voire sceptiques. «Beaucoup de magasins gonflent les prix avant de les baisser artificiellement», déplore une cliente qui compare désormais tous les prix en ligne avant d’acheter. Entre remises trompeuses, qualité douteuse des articles soldés et politique de non-remboursement, les «bonnes affaires» peuvent parfois se transformer en désillusion.

Écouler les stocks pour respirer

Pour les enseignes, les soldes sont un rouage essentiel du cycle commercial, explique à Ici Beyrouth Nicolas Chammas, président de l’Association des commerçants de Beyrouth. Ils jouent un rôle déterminant pour relancer l’activité après les périodes de forte consommation, comme Noël ou l’été, et combler les creux saisonniers.

Mais depuis la crise, ces périodes promotionnelles sont marquées par un vaste désordre. «Les soldes sont à présent appliqués à tort et à travers, sans calendrier fixe. Des phénomènes comme le Black Friday ou la Black Week ont bouleversé l’ordre établi», déplore-t-il.

Au-delà de leur aspect marketing, les soldes sont devenus un outil de survie pour bon nombre de commerçants. Ils permettent d’écouler les invendus, de préparer l’arrivée de nouvelles collections et d’assurer une rentrée financière en fin de mois. «Sans cette période, je terminerais la saison avec un stock plein et un chiffre d’affaires en chute libre», confie un propriétaire de boutique de vêtements. «L’objectif n’est pas le profit, mais la vente», insiste M. Chammas.

Et pour cause: entre marges réduites, charges fixes élevées et flambée des coûts d’importation, les soldes ne riment pas toujours avec bénéfices. Nombreux sont les commerçants qui sacrifient une partie de leurs gains pour éviter des pertes plus importantes et fidéliser leur clientèle.

Certaines périodes restent toutefois stratégiques: le Black Friday, par exemple, représente à lui seul près de 10% des ventes annuelles. Dans le secteur du haut de gamme, les remises peuvent générer une hausse de 15% du chiffre d’affaires. Mais sur l’ensemble de l’année, les ventes réalisées pendant les soldes ne dépassent généralement pas 20 à 25% du total.

Un moteur pour l’économie?

Sur le papier, les soldes participent à la relance de la consommation, encouragent la circulation de liquidités et redynamisent les centres commerciaux et les rues commerçantes. Mais à l’échelle macroéconomique, l’impact reste limité tant que les fondamentaux ne changent pas: instabilité monétaire, absence de réformes, faibles investissements, climat des affaires incertain. Les soldes font tourner la roue, certes, mais sans que celle-ci ne reparte vraiment sur les rails.

Pour que la période de rabais remplisse réellement ses fonctions, stimule la consommation, permette d’écouler les stocks et de faire plaisir aux consommateurs sans les tromper, encore faut-il un cadre plus clair. Des appels sont régulièrement lancés pour un encadrement légal des périodes de soldes, une meilleure surveillance des pratiques commerciales et plus de transparence sur les prix avant/après.

En attendant, les Libanais continueront à scruter les étiquettes avec une pointe d’espoir… et une bonne dose de prudence.

Les soldes au Liban ne sont ni une arnaque généralisée, ni une solution miracle. Ils offrent un bol d’air temporaire aux commerçants, une opportunité ponctuelle aux consommateurs et une mini-impulsion à l’économie locale. Mais pour que cette mécanique fonctionne durablement, la confiance doit être rétablie: dans les prix, dans les produits et, surtout… dans l’avenir économique du pays.

Commentaires
  • Aucun commentaire