Le modèle derrière «L’Origine du monde» de Gustave Courbet
Qui était le modèle de «L’Origine du monde» de Courbet? C’était Constance Quéniaux, danseuse à l’Opéra. ©Ici Beyrouth

Longtemps restée une énigme, l’identité du modèle de L’Origine du monde de Courbet fascine et trouble. En 2018, la vérité ressurgit: derrière ce chef-d’œuvre sulfureux, la vie oubliée de Constance Quéniaux, danseuse à l’Opéra, reprend chair. 

Difficile d’imaginer aujourd’hui le scandale provoqué par L’Origine du monde lors de sa création en 1866. Ce tableau, commandé par le diplomate ottoman Khalil Bey, montre sans détour le sexe d’une femme allongée, sans visage ni décor. D’un réalisme presque photographique, la toile trouble, dérange, choque. Elle restera longtemps cachée, à l’abri des regards, entourée de rumeurs et de fantasmes. Mais pendant plus de 150 ans, une question a persisté: qui est cette femme? Quel destin se cache derrière ce fragment de chair devenu symbole?

La réponse arrive en 2018, grâce à l’intuition et à la ténacité d’un chercheur, Claude Schopp. Spécialiste de la littérature du XIXe siècle, il tombe sur une lettre où Alexandre Dumas fils évoque «l’intérieur de Mlle Queniault». Ce nom attire son attention. Schopp se lance alors dans une enquête minutieuse, croisant archives et lettres. Il retrouve le parcours d’une femme, jadis célèbre puis oubliée: Constance Quéniaux.

Née en 1832 dans un milieu modeste, Constance Quéniaux entre jeune à l’Opéra de Paris. Elle y danse quelques années, sans devenir étoile, mais séduit par sa grâce et son esprit. Blessée au genou, elle quitte la scène et rejoint le monde des demi-mondaines, ces femmes libres vivant auprès d’hommes fortunés. C’est là qu’elle rencontre Khalil Bey, amateur de nus et collectionneur passionné.

Fasciné par la beauté de Constance, Khalil Bey commande à Courbet un tableau d’une audace inédite. L’artiste, déjà connu pour son réalisme, accepte le projet. La pose, frontale et directe, refuse toute idéalisation: Courbet peint le corps féminin sans filtre, abolit la distance entre modèle et spectateur. Mais la toile n’est destinée qu’à Khalil Bey et reste, pendant plus d’un siècle, à l’abri des regards, circulant de collection privée en collection privée.

Devenue femme du monde, respectée et philanthrope, Constance Quéniaux n’a jamais évoqué ce rôle. Elle meurt en 1908, discrètement, laissant une image de respectabilité. Ce n’est qu’en retrouvant chez elle une peinture de fleurs offerte par Khalil Bey que ses proches perçoivent le souvenir d’un secret partagé.

C’est l’ensemble de ces indices qui conduit Claude Schopp, avec l’aide de Sylvie Aubenas à la BNF, à identifier Constance Quéniaux comme modèle de Courbet. L’hypothèse est aujourd’hui largement acceptée, même si, en histoire de l’art, la certitude totale n’existe pas. L’attribution repose sur de solides présomptions.

La révélation de son identité change la lecture du tableau. L’Origine du monde n’est plus un simple acte de provocation: c’est aussi le témoignage de la condition féminine au XIXe siècle, entre liberté et surveillance, admiration et effacement. Constance Quéniaux incarne cette vie double: exposée et cachée, héroïne d’un chef-d’œuvre et spectatrice de sa propre disparition.

Le destin de Constance invite à repenser la place des modèles dans l’histoire de l’art. Souvent, seuls les noms des peintres restent, oubliant celles qui ont prêté leur image. Grâce à la patience d’un historien, Constance Quéniaux est sortie de l’ombre. Elle n’est plus seulement le sujet d’un scandale, mais une femme complexe, dont la chair a servi une révolution picturale.

Ainsi, L’Origine du monde, après avoir traversé le temps, retrouve un visage. Derrière la légende, la vérité se révèle: la muse de Courbet a, enfin, retrouvé son nom – avec tout le degré de certitude que l’histoire peut offrir.

 

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