
La mutation géostratégique induite par la contre-offensive israélienne est contrecarrée par une politique d’enlisement que l’Iran tente de lancer tous azimuts en vue d’en enrayer les conséquences géostratégiques. Les politiques de sabotage sont instrumentalisées au Proche et Moyen-Orient afin de faire capoter les scénarios alternatifs qui devraient mettre un terme aux zones d’influence créées par l’Iran et aux dynamiques conflictuelles générées tout au long des deux dernières décennies. La logique de revanche consiste à venir à bout de la dynamique émergente moyennant des stratégies de blocage, de terreur et de chaos généralisé comme cela est attesté au Liban, à Gaza, en Irak et au Yémen.
L’attaque du Qatar ne peut s’expliquer que par le rôle ambigu du Qatar dans la mise en œuvre de cette politique sournoise. L’attaque israélienne, indépendamment de ses objectifs militaires ponctuels, est une sommation directe au Qatar. Israël n’est plus en mesure de s’accommoder des ambiguïtés de la politique qatarie. Autrement, l’attitude américaine, quoique manifestement en désaccord avec l’action militaire israélienne, rejoint sa politique dans la mesure où les deux sont de moins en moins en mesure de s’accommoder des stratégies islamistes de déstabilisation iranienne, qatarie et turque et des instrumentalisations du conflit à Gaza.
D’aucuns s’interrogent sur l’opportunité de la politique de rétorsion israélienne alors que le dossier des otages israéliens n’est pas clos et que la guerre se poursuit à Gaza. Les Israéliens, quoiqu’exacerbés par les inconséquences de la médiation qatarie, ont différé leur riposte au profit de contacts diplomatiques afin de trouver un épilogue aux incertitudes qui planaient sur l’aboutissement de la médiation et sur les objectifs aléatoires de la politique de puissance iranienne. Surtout que la volatilité du contexte géopolitique actuel est à même de déjouer tous les pronostics.
L’assaut militaire frontal d’Israël traduit une attitude d’exaspération à un moment où le pouvoir israélien cherche à mettre fin à la guerre à Gaza et n’est plus en mesure de s’accommoder des intérims prolongés et douteux. Ceci est d’autant plus important que les dissensions internes au sein du Hamas entre les dirigeants du Hamas installés au Qatar et les commandants du terrain représentés par Ezzeddine el-Haddad sont de nature à accroître la latitude manœuvrière de l’État israélien en vue de conclure des accords séparés avec celui-ci. Alors que la médiation qatarie s’avère trompeuse et loin de vouloir contribuer au dénouement d’un conflit hautement préjudiciable aux intérêts vitaux de la population civile à Gaza ainsi qu’à la sécurité nationale d’Israël. La brutalité du coup de théâtre n’est pas arbitraire, elle traduit un état d’exaspération vis-à-vis d’une médiation dévoyée et éminemment ombrageuse.
Les Iraniens, stimulés par le sommet de l’OCS à Tajian en Chine, se sentent en mesure d’intégrer une contre-dynamique et de mettre à profit les ambiguïtés de la politique qatarie. Sinon, l’effondrement brutal des accords intérimaires avec le Qatar est révélateur des contradictions de la politique qatarie et de son agenda islamiste à géométrie variable. L’attaque du directoire du Hamas scelle une fin de parcours qui aurait pu être évitée si le Qatar avait usé de son influence pour mettre fin à une guerre absurde qui a instrumentalisé la population civile de Gaza à des fins de politique de puissance sans aucun égard aux conséquences désastreuses qui en ont résulté.
Cette attaque peut être l’amorce d’un réalignement géostratégique aux effets incalculables, ou de changements géopolitiques qui remettent en question les équilibres en lice. La réunion des ministres des Affaires étrangères des pays arabes est symptomatique des fractures politiques et idéologiques, des impondérables stratégiques et des incertitudes géopolitiques qui n’ont rien fait pour obliger le Hamas à mettre fin à une guerre qui a ruiné Gaza, mené à une catastrophe humanitaire et écologique et déstabilisé le Proche-Orient au bénéfice de la politique de puissance iranienne et de l’islamisme militant et de ses pathologies. Cette attaque témoigne simultanément des mutations et de blocages induits par la guerre et de leurs incidences sur une région qui a perdu ses repères.
L’absence de médiation diplomatique convaincante du côté arabe est loin d’être accidentelle, elle est, en revanche, révélatrice des désarticulations profondes d’une région qui n’arrive pas à refaire ses équilibres étatiques et interétatiques sur la base de négociations basées sur la réciprocité morale, la reconnaissance, et les compromis dûment consentis. La lecture géopolitique de prime abord invite les pays concernés à réviser leur agenda de priorités de manière moins réactive, à remettre en cause leur passivité tout au long du conflit en cours, et à questionner leur inaptitude à mettre au point une diplomatie de fin de guerre, surtout que le caractère résolument nihiliste de la guerre lancée par le Hamas était hautement destructeur et compromettant.
Les insinuations de réalignement sur le nouvel axe piloté par la Chine sont très aléatoires et sans étayages géostratégiques et économiques suffisamment concluants pour permettre des transitions aussi brutales à des pays peu consistants et aux équilibres structurels fragiles sinon inexistants. En se prêtant à toutes sortes de jeux cyniques et d’instrumentalisation, ils ne doivent pas s’étonner des retournements spectaculaires et de leurs retombées sur ce qu’ils croyaient être leurs défenses immunitaires. L’unique sortie des impasses en cours est de forcer le Hamas à des négociations de fin de guerre établies sur la libération inconditionnelle des otages, son retrait militaire et politique et la formation d’un gouvernement de transition.
Le sommet de Doha a été unanime dans sa condamnation de l’attaque israélienne et donne l’impression d’avoir dépassé tous les différends politiques et stratégiques et leurs lignes de démarcation. Cependant, il ne semble pas offrir une voie alternative qui aiderait à mettre fin à la guerre et à relancer une dynamique de paix régionale. Il est prématuré d’épiloguer sur les évolutions conséquentes, mais il est impératif de souligner l’importance de dégager la voie à des politiques alternatives qui se font attendre depuis l’enclenchement de ce conflit résolument nihiliste. La condamnation ne suffit pas à elle seule et devrait donner lieu à des ouvertures diplomatiques et sécuritaires afin de terminer la guerre à Gaza. Les États concernés gagneraient à regarder la réalité en face, à renoncer aux faux-fuyants qui ont rendu possible la stratégie de subversion iranienne et ses effets délétères incalculables, alors qu’ils n’avaient rien fait pour l’endiguer et en traiter les dérives.
Tous les scénarios délirants de boycottage des institutions internationales, de désinvestissement, de manipulation de l'immigration musulmane et de régimes sécuritaires alternatifs relèvent de la démesure et de la manœuvre vulgaire qui en disent long sur la duplicité et le caractère mensonger des politiques arabes et islamiques. Autrement, les Israéliens préparent leurs scénarios alternatifs pour contrecarrer les politiques de blocage et les menaces sécuritaires attenantes. De toute manière, la radicalisation des deux côtés prendra le dessus dans une région exténuée et qui est à la merci d’une mèche d’allumette d’où qu’elle vienne. Il est grand temps de reprendre, de part et d’autre, le chemin des négociations et d’une diplomatie de fin de conflit et de renoncer aux rodomontades verbales qui ne mènent nulle part et qui ne font que multiplier les malheurs d’une guerre qui tourne à vide.
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