
À l’occasion de la Journée mondiale du cœur, Ici Beyrouth vous invite à plonger dans les avancées de la chirurgie cardiaque et dans une histoire libanaise singulière, des premières opérations à cœur ouvert à Beyrouth aux stratégies de préservation valvulaire. Au centre du récit, le fil d’un pionnier d’origine libanaise, Michael E. DeBakey, et un héritage très concret pour les patients.
Dans la lumière du bloc, une mini-incision; autour de la table, la Heart Team. En quelques heures, une valve est réparée, une aorte consolidée, un myocarde mis à l’abri. Si le geste paraît plus fluide et moins traumatique, c’est qu’il s’appuie sur un siècle d’innovations et de transmission. Parmi ses architectes, Michael E. DeBakey, fils d’immigrés libanais, a redéfini gestes et organisation. Son empreinte guide encore des milliers de décisions et résonne à Beyrouth, où la chirurgie cardiaque s’est construite par des premières, des écoles et de l’obstination.
Cœur: ce qui a vraiment changé
Traumatismes réduits, voies d’abord allégées, douleur mieux contrôlée. Le pontage reste un pilier (parfois sans circulation extracorporelle), la valvulaire privilégie la réparation quand elle est possible, l’aorte profite d’une planification fine et de techniques hybrides. L’essor du structural heart (TAVI, réparations percutanées) déplace les frontières: la Heart Team arbitre au cas par cas. À la clé: séjours plus courts, récupération accélérée, décision partagée.
Un pionnier nommé Michael E. DeBakey
Bien plus qu’un nom d’instruments ou une classification des dissections (I–III), DeBakey a contribué à la conception de la pompe à rouleaux, popularisé les greffes aortiques et imposé une culture d’organisation: protocoles, évaluation, transmission – du champ de bataille aux blocs civils. Né aux États-Unis de parents libanais, il incarne une idée simple et exigeante: un grand geste n’existe pas sans un grand système. Sa leçon, qui relève moins du mythe que de la méthode, a irrigué le monde et inspire les équipes libanaises.
Aux sources libanaises
Avril 1959, à l’AUBMC: première chirurgie à cœur ouvert au Liban, réalisée par le Pr Ibrahim Dagher sur un patient adulte cyanotique. Selon l’historique officiel de l’AUBMC, le Liban aurait alors été le 4e pays au monde à réaliser ce type d’intervention. L’année suivante, un oxygénateur à disques conçu localement permet d’opérer un enfant: l’ingéniosité au service de l’excellence. Puis viennent les programmes structurés, les soins intensifs cardiaques et la diffusion des pontages, de la valvulaire et de la chirurgie de l’aorte. Une identité se forge: apprendre vite, se coordonner, accompagner le patient jusque dans la rééducation.
L’empreinte Joe Hatem
Dans les années 1980-90, la réputation de la chirurgie cardiaque libanaise se confond avec un nom, celui de Joe Hatem, chirurgien cardiaque à l’hôpital Saint-Georges, puis au LAUMC. Des patients du monde arabe entier venaient se faire opérer par ses mains réputées. On l’a souvent décrit comme le père de la chirurgie cardiaque moderne au Liban. Sa singularité tient aussi à sa lucidité sur les frontières avec l’interventionnel. Il a supervisé, aux côtés de l’équipe correspondante, la première angioplastie du pays réalisée par Samir Alam, à l’AUBMC, en 1981. Il s’agissait alors d’une angioplastie par ballon seul (sans stent). Aujourd’hui, la plupart des angioplasties se font avec pose de stent (souvent à élution de médicament); le ballon seul est réservé à des cas précis. Plus tard, il accompagne l’émergence des valves percutanées et rappelle l’intérêt de couvrir tout ce qui peut être fait sans ouvrir une poitrine lorsque le bénéfice du patient est supérieur. En 2012, le premier TAVI libanais est effectué par Georges Ghanem au LAUMC, jalon qui ouvre un programme durable et une collaboration encore plus étroite entre cardiologues interventionnels et chirurgiens.
Supports, hybridations, greffe pédiatrique
Le Liban a adopté l’ECMO (oxygénation par membrane extracorporelle, une assistance circulatoire et respiratoire temporaire) pour les détresses cardio-pulmonaires et en a tiré des retours d’expérience utiles. La filière pédiatrique s’est structurée autour du Children’s Heart Center (AUBMC) et du Brave Heart Fund (2003), lequel aide au financement. En 2017, la première greffe cardiaque pédiatrique réussie a montré qu’une vraie chaîne de soins existe, de l’opération à la réadaptation.
Préserver la valve, réparer l’aorte
Le 25 septembre 2024, l’Hôtel-Dieu de France a réalisé une procédure de type David (équipe dirigée par Ziad Khabbaz): on remplace l’aorte ascendante tout en gardant la valve aortique. Intérêt concret: éviter une valve mécanique (anticoagulation à vie) ou une bioprothèse moins durable. C’est la tendance actuelle: préserver quand c’est possible.
Forces et fragilités du modèle libanais
En bref, on a tout au Liban – équipes, plateaux techniques, Heart Teams. C’est souvent coûteux, donc pas facilement accessible à toutes les classes. Le ministère de la Santé, la sécurité sociale, les assurances, les mutuelles et des ONG (comme Brave Heart) participent de plus en plus.
Un héritage qui bat encore
L’histoire libanaise est une continuité plus qu’une vitrine de «premières». De la sternotomie classique à la préservation valvulaire, une même ligne directrice – choisir la solution la plus juste pour le patient, avec méthode et transparence.
Au bloc, ce sont des mains qui sauvent – et des méthodes qui les guident. De Dagher à Hatem, des filières d’aujourd’hui aux premières de demain, le Liban a prouvé qu’il sait apprendre et s’organiser. À la Journée mondiale du cœur, la promesse est simple et exigeante: décider mieux, opérer juste, réhabiliter tôt, financer l’accès pour que chaque battement trouve sa chance, et que la cicatrice devienne une seconde vie.
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