Le couple et les épreuves de la vie: deuils, maladies, conflits et précarité
Crises, secrets, retrouvailles : comment survivre à deux ? ©Shutterstock

Deuxième volet de notre exploration du couple: au fil des épreuves, de la maladie à l’infidélité, comment survivre aux crises, transformer le lien et réinventer la vie à deux? Entre vérité, maturité et nouveaux équilibres, la traversée commence.

La vie, ponctuellement, impose la cassure des enchaînements. La maladie, les deuils, les séparations, les conflits, l’exil, la précarité font irruption, et la pensée peut se trouer. W. Bion décrit ces moments où la pulsion se déchaîne et la souffrance se défend en interrompant la pensée. Parfois l’un devient soignant, l’autre patient, l’asymétrie menace l’érotisme, comme s’il devenait impossible de préserver un reste de jeu, un humour, quelques moments affectueux qui réinscrivent du vivant. C’est souvent dans ces traversées que l’on mesure la qualité de la contenance partagée, non pas l’efficacité des solutions, mais la capacité à supporter, à différer l’acte, à chercher des mots qui ne blessent pas davantage. Quant à l’infidélité, qu’on la reconnaisse ou qu’on la nie, elle peut prendre le sens d’une rébellion contre une place assignée, une tentative de réanimer un désir qu’un idéal trop serré a desséché, une attaque contre un pacte jugé muet ou devenu obsolète. On peut y voir, avec Lacan, une chasse à l’«objet a», ce reste mystérieux et introuvable qui relance la machine du désir. Deux voies se dessinent alors. Séparation (chacun reprend sa fiction) ou refonte (le pacte se renégocie, perd de sa grandiloquence, gagne en vérité). Rien ne se fait si l’on se trompe d’adversaire. Celui-ci n’est pas le partenaire, mais le non-dit qui a rendu le reniement pensable comme seule issue. Lorsque la parole est remplacée par l’emprise, l’intimidation ou la violence, on ne parle plus d’un conflit pensable, élaborable mais d’un danger.

Ensuite vient le vieillir ensemble, c'est-à-dire l’apprentissage d’une autre grammaire. Le corps change, les deuils s’accumulent, certains idéaux se taisent. La sexualité se déplace vers la tendresse, le temps long, les caresses qui reconnaissent une histoire plutôt qu’elles n’exigent une preuve. Nous pouvons, ici, nous inspirer de nouveau de Winnicott qui parle de la capacité d’être seul en présence de l’autre, c'est-à-dire de s’occuper côte à côte, de marcher au même pas sans trop s’ennuyer, de cultiver un recul qui huile les rouages.

À travers toutes ces étapes se tissent les mêmes fils, qui changent simplement de couleur. La tension fusion-séparation d’abord: on voudrait tant que l’autre répare l’abandon, et l’on étouffe quand il s’approche trop. La reconnaissance narcissique ensuite: être vu sans être humilié, admirer sans s’effacer, occuper parfois la première place sans congédier l’autre. Les familles d’origine enfin: reconnaître les apports, refuser les intrusions, inventer les rituels d’un vivre ensemble. Le travail et l’argent rejouent le pouvoir et la dépendance, ils convoquent la honte et la fierté, la dette et la gratitude. Les enfants, bénédiction et épreuve, demandent des places claires sans condamner l’espace conjugal; la santé, la fatigue, appellent au partage, au relais, à l’aveu des limites. La sexualité, constante variable, exige qu’on continue d’en parler comme d’une aventure, jamais comme d’une obligation. Et l’infidélité, si elle survient, n’oblige ni au déni ni au mélodrame éternel. Elle force à penser: qu’est-ce qui, dans notre roman, s’est figé au point qu’il faille un coup de théâtre?

De cette traversée naissent non des recettes, mais des habitudes de pensée, une nouvelle maturité. Elle aide, par exemple, à instituer des temps de parole réglé, à distinguer ce qui est non négociable (comme les valeurs) de ce qui l’est, (tel le contingent). Elle aide à préserver un tiers commun – un projet, une culture, une activité – et des tiers séparés, telles des amitiés ou des passions, comme autant de fenêtres qui ventilent l’air du lien. Elle aide à apprendre la réparation, à s’excuser sans plaider, à reconnaître la blessure plutôt que la relativiser. Et, aux grands seuils (arrivée d’un enfant ou son départ, deuil, fragilité), d’ouvrir en amont la conversation, afin que le réel n’ait pas à hurler pour être entendu. Et quand la parole se grippe, une thérapie individuelle ou de couple servira à rendre au pensable ce que la peur a rendu muet.

Un couple heureux n’est pas celui qui a évité les orages. C’est celui qui a trouvé la manière, après chaque rafale, de vérifier sa coque, d’admettre ses voies d’eau, et de repartir plus vrai.

 

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