«Bouclier du Nord»: dans les entrailles de la frontière, une chasse aux tunnels de la mort
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Une alarme retentit dans la nuit glaciale du Liban-Sud. Des soldats de la paix traversent la Ligne bleue, armes et détecteurs à la main. Sous leurs pieds, invisibles et silencieux, des tunnels serpentent sur des centaines de mètres, prêts à servir de passages furtifs pour des incursions ou des prises d’otages. Nous sommes alors en décembre 2018. Israël s’apprête à lancer l’opération «Bouclier du Nord», une traque méthodique de ces galeries souterraines du Hezbollah qui, aujourd’hui encore, n’ont pas été totalement démantelées.

Il faut dire qu’en 2025, les tunnels continuent d’inquiéter Tel Aviv, alors que les tensions restent vives le long de la frontière libano-israélienne, exacerbées depuis la guerre ouverte déclenchée par le Hezbollah après l’offensive du 7 octobre 2023. Longtemps considérées comme vecteurs d’infiltrations et d’attaques surprises, ces galeries souterraines demeurent dans le viseur des forces armées de l’État hébreu. Pour comprendre l’ampleur et la sophistication de ces infrastructures, Ici Beyrouth revient sur l’opération de 2018 et recueille le témoignage d’un ancien commandant de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (Finul).

Par une nuit de décembre

Le 4 décembre 2018, l’équipe de liaison de la Finul est réveillée en urgence. Dépêchée de l’autre côté de la frontière, elle apprend la découverte, par les Israéliens, de tunnels transfrontaliers attribués au Hezbollah et défiant la géologie même, en raison de la présence de carbonates et de dolomites qui auraient dû rendre de tels travaux impossibles.

«Aux premières lueurs de l’aube, nous franchissons la Ligne bleue pour atteindre Rosh Hanikra, côté israélien», confie l’ancien responsable onusien, interrogé par Ici Beyrouth. «Sur place, des dizaines de soldats se tiennent prêts, silencieux et tendus. Un ingénieur israélien nous affirme alors qu’une vaste opération de destruction allait commencer», relate-t-il.

Baptisée «Bouclier du Nord», l’opération durera six semaines. Les forces israéliennes déploient de lourds moyens: des unités du génie, des engins de forage, des capteurs acoustiques et sismiques, ainsi que des troupes pour sécuriser les sites. Chaque village, chaque colline, chaque mètre carré était sous la vigilance des forces israéliennes. L’objectif: localiser précisément les galeries franchissant la Ligne bleue depuis le Liban-Sud et neutraliser la menace avant qu’elle ne puisse être utilisée pour des attaques en territoire israélien.

Au bout de six semaines, et malgré la tension extrême et le danger latent, l’opération «Bouclier du Nord» s’achève côté israélien… sans qu’aucun coup de feu ne soit tiré. Au bout de six semaines aussi, cinq tunnels transfrontaliers, séparés par des kilomètres, sont détectés et détruits. Six mois plus tard, un mégaréseau est également mis au jour, révélant l’ampleur réelle de ces infrastructures clandestines.

Des tunnels comme instruments de guerre

Ces galeries étaient impressionnantes par leur complexité, se rappelle le commandant. «Certaines longues de plusieurs centaines de mètres, équipées de ventilation, d’électricité et d’escaliers, traversant parfois des zones habitées ou agricoles. Toutes étaient localisées dans des points stratégiques», signale-t-il. Ses explications, mêlées à des études approfondies menées par divers experts à ce sujet, ont permis de relever ce qui suit.

Dans le secteur de Kfar Kila, la découverte a glacé plus d’un soldat. Trois tunnels transfrontaliers se cachaient sous un bloc tectonique de la faille frontalière. Le plus spectaculaire s’étirait sur près de deux cents mètres, s’aventurant au-delà de trente-sept mètres en territoire israélien. Son entrée, dissimulée dans une structure industrielle du côté libanais, filait sous un poste de la Finul avant de se perdre sous les champs agricoles israéliens.

Pour le neutraliser, les ingénieurs israéliens ont opté pour une arme silencieuse: un mélange épais de bentonite, injecté depuis leur propre côté de la frontière. Le tunnel, englouti, a été scellé à jamais – un serpent de terre stoppé dans son élan.

Après Kfar Kila, les ingénieurs et unités spéciales israéliennes se sont tournés vers la frontière ouest. Là, depuis le village libanais de Ramiyé, un réseau souterrain s’étirait en direction de Zar’it, au cœur de la Haute-Galilée. Ce réseau de tunnels transfrontaliers visait clairement les infrastructures de surveillance israéliennes. À l’est, un mégatunnel, dévoilé le 3 juin 2019 après six mois d’investigations patientes, débouchait sur une pente boisée qui plonge sur un kilomètre jusqu’à la route transgaliléenne.

Le tunnel principal de Zar’it

Creusé dans des couches alternées de calcaires durs et semi-durs, il s’enfonçait jusqu’à 80 mètres de profondeur, traversant des cavités karstiques comblées de roches et de terre pour dissimuler les déblais. Les foreurs, pour ne pas éveiller le moindre soupçon, n’avançaient que d’un à deux mètres par jour, probablement depuis 2014, à l’aide d’une unique machine à forage manuel. Aucun puits de ventilation n’a été identifié, preuve d’un camouflage poussé. Les parois, partiellement renforcées au ciment, abritaient un réseau d’électricité, de ventilation, de communication et même un rail de transport des matériaux. L’entrée, masquée dans une structure civile en pente, permettait une arrivée directe grâce à des escaliers, idéale pour un passage rapide de combattants.

Côté israélien

À mesure que les équipes de l’opération «Bouclier du Nord» progressaient, elles découvraient un couloir en zigzag, doté d’escaliers cimentés à 45 degrés, tandis que côté libanais, le boyau de 750 mètres suivait une douce inclinaison. À 8 mètres sous la surface, une salle à deux niveaux avec une sorte de balcon apparaissait, peut-être conçue pour percer une ouverture explosive vers l’extérieur. L’extrémité israélienne, elle, restait invisible, 5 à 10 mètres sous terre, preuve d’un camouflage minutieux. Le forage semblait même privilégier la progression en montée, pour faciliter l’extraction des déblais par rail ou à la main.

Les tunnels transfrontaliers paraissent donc avoir été conçus comme des artères cachées, des couloirs furtifs destinés à propulser des guérillas en terrain ennemi et à leur donner la capacité de prendre rapidement des points clés du nord d’Israël. Plusieurs scénarios opérationnels se dégagent. Dans l’est, autour de Kfar Kila, les tunnels auraient permis une percée éclair sur l’autoroute 90, la neutralisation ou le blocus de Metoula, et même une menace sur une partie de Kiryat Shmona, à seulement 3 km – le temps nécessaire pour semer confusion et retard dans la riposte israélienne.

Au centre de la Galilée, les conduits offraient une mobilité dissimulée pour s’emparer, la nuit, de postes de surveillance tactiques et stratégiques perchés sur les sommets.

À l’ouest, depuis Zar’it, les galeries débouchaient face à des tours de surveillance adjacentes et vers la route principale de la Haute-Galilée, ouvrant un corridor possible vers la plaine côtière nord et l’axe ouest du pays.

La vision qui se dessine alors est celle d’un plan d’ensemble, ingénieux et audacieux, pensé pour transformer le sous-sol en champ de manœuvre stratégique et le silence de la roche en catalyseur d’une offensive rapide et désorientante.

Pour Israël, neutraliser ces infrastructures était, par conséquent, crucial. Si l’opération a montré que le Hezbollah peut investir des ressources considérables et planifier des projets souterrains de grande envergure, elle a prouvé également qu’Israël dispose de capacités tactiques et géotechnologiques pour les neutraliser. L’expérience acquise sert aujourd’hui de modèle pour contrer les menaces transfrontalières et souterraines.

Pour autant, le risque n’a pas disparu: des tentatives ponctuelles d’infiltration ou de construction de tunnels offensifs restent possibles, surtout que des projets de reconstruction prévus par le Hezbollah sont attendus.

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