
Discrète mais enracinée, la communauté juive d’Iran, forte d’environ 10 000 membres, compose avec un équilibre fragile : reconnue par la République islamique, elle doit cependant afficher un antisionisme de rigueur dans un pays ouvertement hostile à Israël.
Estimée aujourd’hui à environ 10 000 membres, la communauté juive iranienne est la deuxième plus importante communauté juive au Moyen-Orient. Une présence discrète mais bien réelle dans un pays marqué par une forte hostilité envers Israël, matérialisée par douze jours de guerre ouverte en juin dernier.
La présence juive en Iran remonterait au VIIIe siècle av. J.-C., après la défaite du royaume d’Israël face aux Assyriens, qui auraient déporté une partie de la population en Haute-Mésopotamie. Selon le Deuxième Livre des Rois dans l’Ancien Testament, une deuxième déportation de juifs en Basse-Mésopotamie s’est produite en 622 avant J-C durant l’exil de Babylone.
« Historiquement, il n’y a pas d’animosité entre le peuple juif et les Perses », souligne à ici Beyrouth David Rigoulet-Roze, rédacteur en chef de la revue Orients stratégiques et spécialiste du Moyen-Orient, « on peut rappeler que Cyrus le Grand, le fondateur de l'Empire perse achéménide avait permis aux juifs, qui avaient été déportés en Mésopotamie sous le règne du roi babylonien Nabuchodonosor II vers - 586, de retourner en Palestine un demi-siècle plus tard ».
Une rupture avec la révolution islamique
« La révolution islamique de 1979 a constitué une rupture sans précédent, car, contrairement au Shah qui était un allié géopolitique d’Israël, il y a dans l'ADN de la République islamique la volonté déclarée de la destruction d'Israël », estime David Rigoulet-Roze.
« Cela a évidemment changé la donne pour la très ancienne communauté juive iranienne qui est certes reconnue par la République islamique comme minorité confessionnelle, mais qui se doit d'afficher un anti-sionisme de rigueur pour éviter d’être accusée de collusion avec Israël qualifié "d'entité sioniste" » ajoute-t-il.
Dans les années qui suivent la révolution islamique, la communauté juive d’Iran connaît un exode massif vers les États-Unis et Israël, entraînant une chute d’environ 90 % de sa population.
Une communauté reconnue mais encadrée
Aujourd’hui, la communauté juive iranienne bénéficie d’un statut officiel reconnu par la Constitution. L’article 13 dispose que « les Iraniens zoroastriens, juifs et chrétiens sont reconnus comme les seules minorités religieuses qui, dans les limites de la loi, sont libres d’accomplir leurs rites religieux et, quant au statut personnel et à l’éducation religieuse, agissent en conformité avec leur liturgie ». En pratique, la communauté juive jouit de la liberté de culte et d’un statut personnel propre pour les questions de mariage, divorce et héritage. Le pays compte entre 25 et 30 synagogues, dont une dizaine à Téhéran.
Dans une interview pour le média français Cnews datée du 16 juin 2025, David Nissan, ancien officier des renseignements israéliens et qui a grandi à Téhéran, affirmait que « les juifs ne subissent aucune persécution ni aucun préjugé et peuvent conserver leur mode de vie juif sans interférence », soulignant la présence de boucheries et restaurants casher, d’écoles juives et d'une fabrique de matsa, un pain non levé consommé pendant la fête juive de Pessa’h.
Dans la Constitution de la République islamique du 24 octobre 1979, les minorités religieuses reconnues en Iran disposent d’une représentation au Parlement. La communauté juive est ainsi représentée par un député, qui est depuis 2024 Homayoun Sameh. Cependant, cette constitution prive également les minorités de certains droits, interdisant notamment l’accès aux plus hautes fonctions de l'État aux non-chiites. De plus, les écoles confessionnelles doivent enseigner en langue farsi et posséder un directeur musulman.
À cela se rajoute pour la communauté juive le tabou d’Israël. En effet, si la république islamique distingue le judaïsme d’Israël, les juifs iraniens doivent cependant afficher un antisionisme formel. D’autant qu’une partie d’entre eux ont de la famille en Israël, un lien susceptible d’éveiller la méfiance des autorités.
En témoigne la déclaration en 2020 du grand rabbin d’Iran Yehuda Gerami qui affirmait que « le judaïsme est une religion vieille de 3 300 ans tandis que le sionisme est un mouvement national et politique qui n’est vieux que d’une centaine d’années » et que « le gouvernement israélien ne se soucie pas du tout du judaïsme ».
Il est difficile de savoir ce que pensent réellement les Juifs iraniens d’Israël, d’autant que leurs communications sont souvent surveillées. Certains affichent probablement un antisionisme marqué par crainte de la répression, tandis que d’autres partagent peut-être de véritables convictions, comme l’affirme un article du Times of Israel du 20 juin 2025. Quoi qu’il en soit, les émigrations vers Israël sont désormais très rares, une situation qui s’explique en partie par l’attachement à la terre, mais pas seulement, selon David Rigoulet-Roze.
« En 2011 sous le deuxième mandat d’Ahmadinejad (août 2009- août 2013), marqué par un fort anti-sionisme, sinon un anti-sémitisme inédit, une loi allait être adoptée par le Majlis ("Parlement") empêchant notamment aux Juifs iraniens de sortir du pays pour se rendre en Israël, en limitant ainsi la possibilité pour les Juifs iraniens de profiter de la toute relative liberté de voyager préexistante pour effectuer éventuellement l'alya ("émigration") en Israël », explique-t-il.
Une association tenace avec Israël
Les récents affrontements entre Israël et l’Iran ont ravivé les craintes de la communauté juive d’être associée à ce pays. En effet, outre le risque d’une surveillance accrue des autorités, la menace peut aussi venir de simples citoyens, comme en 2017, lorsque deux synagogues avaient été vandalisées à Chiraz après la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël par le président américain Donald Trump.
Après les frappes israéliennes sur l’Iran en juin dernier, plusieurs communautés juives iraniennes ont condamné ces frappes, comme l’association juive de Téhéran qui a déclaré qu’elle « condamne fermement l’agression brutale du régime sioniste sur le sol sacré de la République islamique d’Iran et le martyre d’un groupe de commandants militaires, de scientifiques nucléaires et de nos compatriotes bien-aimés ». La communauté juive d’Ispahan a elle affirmé que « la brutalité des sionistes est loin de toute moralité humaine ».
Cependant, dans un contexte de crise, marqué par des attaques lancées depuis l’intérieur du pays, la communauté juive iranienne n’a pas échappé à la suspicion généralisée. « Après les attaques israéliennes contre l’Iran en juin 2025, il y a eu plusieurs rafles après des perquisitions à domicile d’une quarantaine de juifs par les services de sécurité iraniens officiellement motivées par des soupçons d’espionnage », affirme David Rigoulet-Roze. « Aucun d’entre eux n’a finalement été accusé en bonne et due forme et ils ont été relâchés mais cela a constitué un réel choc pour la communauté juive iranienne », ajoute-t-il.
Ainsi, si la communauté juive iranienne peut exercer pleinement son culte religieux et est bien intégrée dans le tissu social du pays, elle doit cependant montrer patte blanche dans son regard sur Israël.
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